Le bloc-notes d’Albrecht Sonntag

L'édito d'Albrecht Sonntag · La Capitale – et sa raison d’être

L'édito d'Albrecht Sonntag · La Capitale – et sa raison d’être

Albrecht Sonntag, professeur à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management et membre d’Alliance Europa.

Albrecht Sonntag est professeur à l'EU-Asia Institute. Docteur en sociologie, il travaille sur les dimensions multiples du processus d’intégration européenne. Albrecht est également membre de l'Alliance Europa, consortium universitaire interdisciplinaire en Pays de la Loire.
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L’édito d’Albrecht Sonntag, de l’ESSCA Ecole de Management. Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris, Albrecht : pour le dernier édito de la saison, vous voulez nous parler d’un cochon qui court dans les rues de Bruxelles ? Oui, oui, vous avez tout à fait bien résumé : ce cochon qui apparaît soudainement dans les rues de Bruxelles, c’est la scène d’ouverture un peu énigmatique d’un roman très original, très intelligent, et très européen que j’avais envie d’évoquer. Intitulé « Die Hauptstadt » en V.O. – « La Capitale », donc – il n’est pas encore paru en traduction française. Ce sera chose faite au printemps prochain, aux Editions Verdier. C’est donc une lecture d’été pour germanistes que vous nous proposez… C’est surtout le compte-rendu d’un ouvrage intrigant et très novateur que je vous propose ce matin. Car La Capitale – mine de rien Prix du Livre Allemand 2017, un genre de Prix Goncourt d’outre-Rhin – est peut-être bien le premier roman qui a pour thème la raison d’être de l’intégration européenne. Son auteur n’est d’ailleurs pas allemand, mais autrichien. Il s’appelle Robert Menasse – M-E-N-A-S-S-E – il a 63 ans, et il avait déjà, il y a quelques années, fait de l’Union européenne le thème d’un essai moins ambitieux, rédigé après un long séjour à Bruxelles. En fait, il a effectué ce que les anthropologues appelleraient « de l’observation participante », à la manière d’un explorateur qui cherche à comprendre les pratiques, rites et croyances d’une tribu exotique. C’est de cette « expédition en terre inconnue », si j’ose dire, qu’il a tiré la substance et l’inspiration pour son roman. Et alors, comment décrit-il cette « capitale » et la tribu qui la peuple ? Avec beaucoup d’ironie bienveillante, je dirais. Dans ses personnages et intrigues multiples qui se croisent, il traduit sa propre surprise à avoir trouvé, lors de ses rencontres et entretiens dans cette capitale, des individus certes très qualifiés, conscients de faire partie d’une élite qui se sent parfois très efficace, parfois très impuissante. Ce sont des protagonistes souvent plutôt frustrés, voire désillusionnés du fonctionnement bureaucratique et hiérarchique des institutions pour lesquelles ils travaillent, notamment la Commission. Attachants aussi, car au fond, des caractères comme vous et moi. C’est un roman de société, avec des éléments de roman policier, avec aussi une curieuse histoire d’amour, et une dose de poésie fantaisiste (le cochon qui court à travers la ville !). Le tout composé avec beaucoup de savoir-faire dramaturgique. En même temps, c’est une parodie brillante du célèbre Homme sans qualités, roman d’un autre Autrichien, Robert Musil, qui dessinait, il y a près d’un siècle, toute la complexité, les aspirations et les dysfonctionnements, de la monarchie austro-hongroise disparue, communauté pluri-nationale et multiculturelle, inexorablement vouée au déclin. Cela a l’air assez pessimiste, dans l’ensemble, non ? Pas pessimiste. Mélancolique, peut-être. N’oubliez pas que Vienne, l’Autriche, c’est tout ce qu’il y a de plus « Mitteleuropa », l’âme de l’Europe centrale, où l’optimisme est une faute de goût impardonnable et le désespoir caustique fait figure de joie de vivre ! Plus sérieusement, le roman de Robert Menasse est un livre qui porte un message profondément humaniste, tout en situant ses intrigues dans cette Europe contemporaine qui ne rend pas forcément optimiste, tant les idéaux sur lesquels elle a été construite sont vulnérables, voire menacés (sans mauvais jeu de mots avec le nom de l’auteur). C’est aussi un livre qui rappelle, de manière assez futée, je trouve, que cette Europe technocratique du compromis laborieux a été fondée sur le refus de commettre à nouveau les erreurs du passé, sur un « plus jamais ça » consensuel pendant un court moment que j’ai appelé ailleurs « une fenêtre d’opportunité ». Puis, c’est un livre qui démontre que rien de ce qui a été accompli n’est irréversible. Quand on connaît l’auteur, ses convictions politiques et ses prises de positions très fédéralistes, jusqu’à faire l’éloge de la disparition des Etats nationaux au bénéfice d’une Europe des régions, on n’est pas surpris de lire entre les lignes cette inquiétude de vivre une époque charnière où les choses peuvent basculer. Cependant, et c’est là toute la classe littéraire de cette œuvre, il n’impose jamais au lecteur son point de vue. Au contraire, il le fait cogiter et prend même le risque de le laisser un peu en désarroi au bout du voyage. Un vrai plaisir intellectuel. On a compris, vous en recommandez très fortement la lecture. C’est malin : vous nous faites envie, sans en dire trop, puis vous nous faites patienter des mois avant la parution en français ! Désolé ! Mais on y reviendra, c’est promis. Tiens, pourquoi on n’inviterait pas sur l’antenne, au printemps 2019, l’auteur de ce premier « roman dont l’Europe est le héros » à travers les personnages qui gravitent autour d’elle dans sa Capitale ? Vous voyez, cela me donne déjà une idée pour la saison prochaine !
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