Notre journaliste Romain L'Hostis est au Conseil de l'Europe à Strasbourg, pour évoquer les récentes suspensions de médias en Moldavie. Le 16 décembre 2022, le gouvernement de la Première ministre moldave Natalia Gravilita a décidé de suspendre en même temps 6 chaînes de télévisions indépendantes, parmi les plus importantes du pays. Accusés officiellement d'avoir fait de la propagande pro-russe, des centaines de journalistes - désormais sans travail - dénoncent une volonté du gouvernement d'attaquer le journalisme indépendant.
Pour en parler, Romain L'Hostis a rencontré Alexei Lungu et Ludmila Belchencova, deux des journalistes concernés travaillant pour les médias suspendus en Moldavie. Venus à Strasbourg pour contester leur situation et amener l'affaire auprès de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), ils nous répondent en russe, faute d'interprète roumain présent lors de l'interview.
Alexei Lungu : Pourquoi on est là aujourd'hui ? Nous sommes allés à Bucarest il y a quelques jours, pour une action et un flashmob. On est ici à Strasbourg, nous avons réussi à avoir des entretiens et réunions avec des députés importants du Conseil de l'Europe et des membres de l'Assemblée parlementaire. Tout le monde nous a dit de ne pas garder notre silence, d'aller plus loin. Que si la justice en Moldavie ne va pas marcher, on doit aller jusqu'à la CEDH et on est prêts à le faire. [...] Il n'y a pas de coalition au pouvoir [en Moldavie], il y a un seul parti au pouvoir, et qui détient 60% à 70% des sièges au Parlement. Et hier, il y avait un rapport délibéré à l'Assemblée Parlementaire [du Conseil de l'Europe] sur la situation des médias en Moldavie. Bien sûr le député représentant le parti politique au pouvoir en Moldavie trouvait que ce rapport était génial, et que la situation était idéale. Mais il ne s'attendait pas que des députés de Roumanie ou d'Espagne allaient se lever pour dire qu'en réalité la situation n'est pas si joyeuse que ça, et que fermer 6 chaînes avec une seule décision, d'un seul coup, c'est ni démocratique, cela ne représente aucune réforme, ni les valeurs européennes. C'est un coup sur la liberté d'expression, la liberté de presse.
Ludmila Belchencova : "Aussi, selon ce rapport, il montre que la situation des médias en Moldavie est tellement géniale que depuis 2021, ils ont gagné 40 places dans l'index de liberté d'expression. Or, on peut faire un petit test avec vous [...] si vous allez sur n'importe quel site web en Moldavie, vous pouvez consulter des opinions à propos de ce rapport. Vous verrez que toutes les opinions exprimées sont joyeuses, contentes, radieuses. Il n'y a pas une seule critique.
Sur quels sites web ?
Alexei Lungu : " ce sont les sites pro-gouvernementaux, les principaux médias du pays. La seule information qu'on pourrait trouver et qui dirait autre chose est sur Telegram et sur les réseaux sociaux.
Aujourd'hui vous avez perdu votre travail, vos médias sont suspendus, c'est le terme officiel. Comment vous sentez-vous face à cette situation ? Espérez-vous un retour rapide à une meilleure diversité médiatique en Moldavie ?
Ludmila Belchencova : "Nous, nous allons nous battre. Nous avons déjà fait appel de cette décision. Le problème étant que les juges [moldaves] ne sont pas très chauds pour prendre des décisions sur notre situation. Mais nous sommes prêts à aller jusqu'au bout, s'il le faut jusqu'à la CEDH. Et nous espérons que - vu que la Moldavie est candidate à l'adhésion à l'Union européenne - les autorités de l'UE finiront par voir la situation pour ce qu'elle est. Car pour l'instant, pour revenir à ce rapport, aucune phrase ou aucun mot ne présente la situation telle qu'elle est. Nous espérons qu'un jour ils auront cette information, et à ce moment là la situation changera.
Alexei Lungu : " en fait nous sommes beaucoup plus nombreux, nous les journalistes concernés. On est plus d'un millier, à avoir perdu notre travail, ou bien qui allons le perdre. Ce qu'il faut savoir, c'est aussi que nous ne percevons aucune indemnité ni aucun fond de l'Etat. Le seul moyen de nous financer, c'était les publicités qu'on a perdues dès que la diffusion a été suspendue. Avec les réseaux sociaux, on ne peut pas faire la même chose. Je le redis, la Moldavie est un candidat à l'UE. Alors, essayez de me montrer une seule chaîne française qui a été fermée parce qu'elle a critiqué Macron, une seule chaîne italienne qui a été fermée parce qu'elle a critiqué Meloni.
Vous dites que vous êtes plus de 1000 journalistes concernés par cette interdiction. Comment ont réagi les Moldaves, les citoyens, la jeunesse ? Y a-t-il eu des manifestations ?
Ludmila Belchencova : " pour répondre à votre question, hier, j'ai finalement réussi à avoir en interview le vice-président du Parlement moldave. En Moldavie, il refuse de nous parler, il refuse tous les entretiens. Donc il a fallu aller jusqu'à Strasbourg pour l'avoir en entretien. Nous avons publié cette interview sur nos réseaux sociaux, sur Youtube, sur Facebook, et c'est très intéressant de voir les commentaires des gens lorsqu'ils apprennent que les chaînes sont fermées. [...]
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Merci Alexei Lungu et Ludmila Belchencova d'avoir répondu à nos questions.