Europe in a soundbite

Les pères fondateurs de l’Europe et la mère CECA

Les pères fondateurs de l’Europe et la mère CECA

Le Laboratoire d’Innovation Pédagogique sur l’Europe (LIPE) propose, de manière accessible, des approches transversales de l’histoire européenne du genre, des guerres, de l’art, des circulations et des réseaux, des grandes idéologies et débats politiques.

Le LIPE vous donne rendez-vous pour la chronique Europe in a soundbite tous les jeudis à 8h sur euradio.

Qui considère-t-on comme les fondateurs de l’Europe ?

Dans le discours institutionnel, la Communauté européenne du charbon et de l’acier issue du traité de Paris du 14 avril 1951, est devenue au fil des décennies la mère de la construction européenne, sa matrice originelle. Son objet – la mise en commun des industries lourdes – et son image vertueuse – faiseuse de paix et de réconciliation européenne – sont souvent présentés comme l’œuvre d’hommes. Chaque État fondateur de la communauté européenne a érigé la figure d’un créateur, identifiable pour sa communauté nationale : Alcide De Gasperi pour l’Italie, Robert Schuman et Jean Monnet pour la France, Konrad Adenauer pour l’Allemagne, Paul-Henri Spaak pour la Belgique, Joseph Bech pour le Luxembourg et Jan Willem Beyen pour les Pays-Bas. Tous ont été les porteurs du projet européen à un moment donné et sont considérés comme ses « pères fondateurs ».

N’y a-t-il pas de femmes qui participent à cette fondation ?

La Haute Autorité, institution centrale de la CECA en fonction entre 1952 et 1967, est le premier exécutif européen. Dans cette période, sont nommés à sa tête 19 hommes et aucune femme. Outre les membres de la Haute Autorité et leur cabinet, l’équipe de hauts fonctionnaires est également masculine dans son ensemble. À noter que la main-d’œuvre  ouvrière de la sidérurgie et les charbonnages, les secteurs industriels dont la Communauté a la charge, est à 98 % masculine. Au sein des autres institutions de la CECA comme la Cour de justice ou l’Assemblée commune, la situation est similaire. Sur les 78 membres issus des parlements nationaux que compte l’Assemblée à sa création, une seule femme siège : la députée néerlandaise Margaretha Klompé.

Où sont les femmes de la CECA ?

Dans les instances exécutives, les femmes, quand elles sont présentes, n’occupent pas de fonctions de premier plan. En revanche, au niveau inférieur, elles sont nombreuses et sont des rouages importants de l’administration. Elles exercent des activités de « bureau », sont secrétaires, sténodactylographes, interprètes, etc. Elles participent à la bonne marche quotidienne de l’institution. Par exemple, Ursula Wenmakers est le lien indispensable entre les deux plus importantes personnalités de la Haute Autorité en ses débuts, c’est-à-dire son président Jean Monnet et son vice-président Franz Etzel. Des heures durant, elle traduit à l’oreille leurs échanges en français et en allemand. Selon le témoignage d’un autre interprète, elle en serait littéralement morte d’épuisement à 34 ans. Mais ces femmes sont par la suite largement oubliées, absentes des récits et des ouvrages de référence sur la Haute Autorité. Parfois anonymisées, elles disparaissent fréquemment des légendes des photographies ou deviennent, par l’habitude de l’universel masculin, « un interprète ».

Comment expliquer que cette invisibilisation perdure ?

L’Union européenne est souvent critiquée et développe couramment pour se légitimer un discours sur sa filiation. L’image selon laquelle la CECA, considérée comme la « mère » de l’UE, serait née de grands hommes imprègne la perception que l’on a aujourd’hui du rôle des femmes dans la construction européenne et dans la vie politique dans son ensemble. Masquer la diversité des hommes et femmes qui composent la première administration communautaire met en lumière principalement les figures tutélaires masculines. Les institutions cherchent à bénéficier de l’aura des « grands hommes » pour contrecarrer la critique des eurosceptiques qui la présentent comme un produit de « technocrates ». Et cela se fait au détriment de l’histoire de ces femmes, il est vrai peu nombreuses aux postes de commande au début de la construction européenne, comme on le constate au niveau national également.

Aujourd’hui Europe in soundbite sur « Les pères fondateurs de l’Europe et la mère CECA» a été conçu par Elodie Serna à partir de la notice de Mauve Carbonell.

Image : The U.S. National Archives