Taxer les GAFAM en Europe, l'eurodéputé Damien Carême nous en parle

 Taxer les GAFAM en Europe, l'eurodéputé Damien Carême nous en parle

Quels sont les débats qui animent le Parlement européen en ce moment ? La rédaction d’Euradio vous propose une série d’interviews avec des eurodéputé.e.s pour faire la mise au point. Pour cette première interview Damien Carême, eurodéputé pour le groupe des Verts/Alliance libre européenne, est venu nous parler du débat sur la taxation des GAFAM.

Qui sont exactement ces GAFAM ?

Damien Carême : Alors ces GAFAM c’est l’ensemble de ces multinationales du numérique que l’on connait tous  : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Ce sont les plus grandes capitalisations boursières mondiales et elles ont parfois à peine vingt ans puisque Facebook a été créé en 2004 et Google en 1998. Et pourtant la capitalisation de chacune d’entre elles, à l’exception de Facebook je crois, dépasse les mille milliards de dollars ! Ça parait complètement fou mais pour vous donner un ordre de grandeur justement, bien que ce ne soit pas directement comparable, c’est l’équivalent du PIB d’un pays comme les Pays-Bas qui émarge quand même à la 17e place des pays les plus riches du monde. C’est pour vous donner l'importance qu’un seul homme à la tête d’une de ces entreprises pèse au niveau international.

Mais quel est le problème exactement ?

DC : Ça pose le problème de leur mainmise tentaculaire sur l’économie et aussi sur nos données. Ils dominent dangereusement le marché à 5 ce qui les rend malheureusement indispensables et entrave aussi la concurrence loyale dans une concurrence déloyale. Par exemple, Google concentre à lui seul plus de 90% des requêtes sur internet dans le monde. Il y a aussi le problème de l’exploitation de nos données qui est un peu l’or noir du XXIe siècle. Ces données qui sont bien souvent au coeur du système de croissance et de domination des GAFAM. Et puis il y a le problème donc, et c’est pour ça que l’on s’interroge sur la taxation de ces entreprises, de leur pratique fiscale. Leur modèle numérique leur permet plus facilement de délocaliser leurs profits où ils le veulent et notamment dans des pays à basse imposition et faisant ainsi du dumping fiscal leur modèle pour que ça soit encore plus bénéfique.

Ces GAFAM ne sont-ils pas en train de concurrencer la souveraineté même des Etats ?

DC : Je pense que ça menace réellement la souveraineté des Etats ! La collecte même des données telles qu’elles sont organisées, ça peut manipuler l’opinion publique et les individus donc c’est une vraie menace pour la démocratie. Moi je le dis tel que je le pense c’est une menace pour la démocratie. Ces gens ont la main sur votre vie privée, votre santé, vos centres d'intérêt, vos déplacements… enfin c’est hallucinant ! Sans aucun contrôle de qui que ce soit. 

Où en est le Parlement européen aujourd'hui dans cette réglementation des GAFAM ?

DC : Il a déjà eu un certain nombre de choses depuis 2011. Mais on a une règle au niveau européen c’est que toutes les décisions qui se prennent en matière fiscale doivent être prises à l’unanimité du Conseil et ça c’est quelque chose qui est très bloquant, nous on demande la fin de cette unanimité en matière fiscale. Et la Commission d’ailleurs en 2011 avait proposé pour une première fois ce que l’on appelle l’ACCIS : l’Assiette Commune Consolidée pour l'Impôt sur les Sociétés. C'est-à dire que ça éviterait que les multinationales fassent des transferts artificiels de profits. Et elle a dû être retirée parce que le Conseil ne l’a pas acceptée, il y a un certain nombre de pays qui n’étaient pas d’accord tels que Malte, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Irlande, qui sont des paradis fiscaux. Ça a été relancé par la Commission en octobre 2016, donc 5 ans après. Le Parlement européen qui est lui simplement consulté, ne peut pas légiférer dessus, mais l’a quand même adopté en séance plénière en mars 2018. Pour donner une indication il y a eu 438 votes pour, 145 contre et 69 abstentions. Mais le Conseil a quand même bloqué. 

Des négociations à l’échelle de l’OCDE sont aussi en cours : est-ce à cette échelle que les choses vont pouvoir changer ? 

DC : On préfèrerait, et c’est ce que l’on dit dans le texte que l’on vient d’adopter, qu’il y ait un accord qui soit trouvé au niveau de l’OCDE. Parce que l’OCDE c'est 138 pays et les GAFAM ne peuvent pas s’en passer.

Vous êtes le rapporteur d'un texte pour une taxation de l'économie du numérique, quels sont les amendements proposés par ce texte ?

DC : Le premier c’est d’aller au delà des entreprises du numérique, moi j’avais insisté pour mettre des choses en disant que le numérique est mis en exergue aujourd’hui par la crise mais il y a toutes les multinationales qui agissent de la même manière et il faudra réglementer aussi au-delà du numérique. Qu’on a besoin d’un accord international : on appelle de nos vœux cet accord de l’OCDE dans les prochains mois. Que l’UE doit aussi compléter ses règles parce que tous les problèmes ne vont pas être résolus par les règles de l’OCDE notamment le taux minimum effectif et l’accord pour les impôts sur les sociétés qui devrait être mis sur la table avec un taux non pas à 12% mais à 20% voire à 25%. Et il faut que le Conseil se bouge, débloque d’urgence ces dossiers là et que la Commission fasse preuve de courage politique en actant l’article 116 du Traité pour contourner l’obstacle de l’unanimité parce que là c’est une question fiscale et on s’en sortirait pas. Donc voila un peu ce sur quoi j’insistais, je dois avouer que la plupart des amendements ont été adoptés par les deux rapporteurs qui cherchaient à faire un large consensus au cours de leur rapport. Donc ce rapport d’initiative a été salué par beaucoup. 

Et à l’échelle d’un pays comme la France, qu’est ce que cela rapporterait de taxer ces géants du numériques et plus largement les tentatives d’évasion fiscale pratiquées par les grandes entreprises ?

DC : Google France en 2018 n’a déclaré en France qu’un chiffre d'affaires de 411 millions d’euros et donc n'a payé en France que 411 millions d’euros d'impôts. Et pourtant les seules recettes publicitaires réalisées en France auraient rapporté à Google environ 2 milliards d’euros selon le syndicat des régies internet. On voit bien l’obscurité autour de cela. Et alors le champion du monde c’est Netflix dont le chiffre d'affaires est estimé en gros aujourd’hui à 300 millions d’euros et il n’a rien déclaré : zéro euros d'impôts ! En France on estime que la fraude et l’évasion fiscale c’est 80 à 100 milliards d’euros par an . L’évasion fiscale des multinationales  spécifiquement c’est en France à peu près 20 milliards par an. On voit bien tout cet argent ! Si on a 100, 120 milliards d’euros par an c’est 30% du budget de la France ! Et on va nous faire croire qu’on est endettés et qu’on doit supprimer des services publics parce qu’on ne peut plus supporter la dette. Non ! Il y a de l’argent à aller chercher, et ce n'est pas de l’argent en imposant plus, c’est de l'argent sur les taxes qui existent aujourd'hui, c’est faire en sorte que ces multinationales les payent. Parce que si vous, vous ne payez pas votre impôt, on va venir vous embêter ! Donc c’est juste rétablir la justice fiscale.