L'impact de la crise sanitaire sur le cinéma indépendant avec le réalisateur David Trueba

 L'impact de la crise sanitaire sur le cinéma indépendant avec le réalisateur David Trueba

La 30e édition du festival du cinéma espagnol de Nantes s’est terminée dimanche 4 avril. Une cérémonie en ligne a clôturé 10 jours de festival qui ont eu lieu en distanciel. Une manière pour les réalisateurs et réalisatrices des films en compétition de braver la fermeture des salles de cinéma. Car la pandémie de Covid-19 a tout particulièrement affecté depuis un an le monde de la culture et notamment du cinéma. Le réalisateur et écrivain espagnol David Trueba est avec nous aujourd’hui pour nous faire part de son ressenti.

L'impact de la crise sanitaire sur le cinéma par David Trueba

Votre film A Este lado del Mundo était le film d’ouverture de cette 30e édition du festival du cinéma espagnol de Nantes. Il était en compétition cette année dans la catégorie fictions, pouvez-vous nous raconter de quoi parle votre film ?

David Trueba : C'est un film sur un ingénieur espagnol qui n'a pas encore de rapport politique ou idéologique avec le phénomène de l'immigration. Mais après la perte de son emploi il va dans une ville espagnole en Afrique, Melilla, qui fait partie du premier mur de résistance contre l'immigration parce que pour eux ils arrivent de toute l'Afrique vers le Nord pour essayer d'arriver vers le continent européen. Et ce travail devient pour lui une espèce de prise de conscience de ce qu'il fait et de la signification de ce qu'il fait.

Un film qui évoque notamment cette idée que notre niveau de vie est déterminé par ce hasard qu’est l’endroit où l’on naît. Avez-vous le sentiment M. Trueba que la pandémie de Covid-19 a renforcé cette inégalité ?

DT : Oui ! Quand j'ai présenté le film en Espagne j'ai reçu un peu une espèce de rejet sur le sujet du film dans le sens où c'était l'année de la pandémie, les gens de la presse pensaient alors que la pandémie était le sujet le plus important et que l'immigration était alors un sujet moins important. Au contraire je pense que même avec la pandémie l'immigration continue d'être le sujet le plus important de notre époque. Spécialement avec le problème sanitaire parce que le regard que nous portons sur la crise est un regard stupide, un regard nationaliste, chaque pays essaie de protéger ses frontières, essaie de trouver une solution avec le vaccin à tous les problèmes sanitaires que l'on a eu pendant un an. Mais ce problème est un problème global, un problème mondial et spécialement c'est un problème qui implique celui de traverser les mondes. Et l'immigration c'est une chose que personne ne raconte, alors que ça continue d'être la force économique la plus important du monde.

Avez-vous le sentiment M. Trueba que le cinéma est un moyen de lutter contre le chacun pour soi ?

DT : Je pense que oui parce que le cinéma en salle est une expérience collective et je crois qu’en ce moment il faut revendiquer les expériences collectives, les expériences sociales… parce que si l’on accepte la disparition de toutes ces actions, ces spectacles collectifs, on commence à renforcer ce terrible problème que l’on vit aujourd’hui qui est l’isolation des personnes. Les gens deviennent alors plus égoïstes, plus isolés et plus agressifs envers les autres. Et je pense que toutes les expériences collectives et spécialement le cinéma et le théâtre sont des espaces de solidarité, de générosité, de regard ouvert sur le monde, tout le contraire du regard nationaliste.

Alors même que le gouvernement français, par exemple, considère que les lieux de culture et notamment les cinémas ne sont pas des lieux dits “essentiels” et sont donc fermés depuis déjà 5 mois. Qu’en pensez-vous M. Trueba ?

DT : Moi je pense que c’est une appréciation qui est difficile et qui doit être supportée par des opinions sanitaires mais je crois qu’avec les mesures de prudence, de contrôle dans les salles, on peut rester ouvert. Et je crois que c’est bien pour l’esprit psychologique de la population et que ce sont des choses essentielles mais on pense toujours à l'économie comme la seule chose essentielle du monde. Je crois que les choses spirituelles, artistiques et culturelles sont très importantes pour les gens et on doit faire un effort pour ouvrir de la meilleure manière, c'est-à-dire sans risques, toutes les choses qui rendent les gens un peu plus relaxés et dans une meilleure santé mentale. Puisque je crois que ça va être un épisode après la sortie de la pandémie qui va nous donner de très très mauvaises nouvelles. 

Vous même en avez fait les frais puisque la distribution de votre film A este lado del mundo a été bouleversée.

DT : Le film est sorti dans quelques villes et a été interrompu à cause des restrictions. On a du faire un peu tous la même chose parce que si tu travailles avec une grosse plateforme télévisée là c’est facile parce que le film passe à la TV. Mais dans les salles c’est difficile. Il y a des films qui sont sortis avec la puissance d’une grosse distribution mais je pense que pour les petits films, les films indépendants comme le mien, ça a été encore plus difficile. 

Et comment est-ce que vous faites pour faire face à ces difficultés M. Trueba ?

DT : La chose que je fais depuis des années c’est que j’ai une page web : davidtrueba.com. C’est une page personnelle avec mes pièces de travail où les gens peuvent trouver presque tous les films que j’ai fait. Et la seule chose que j’ai faite, comme il y avait cette restriction d'ouverture des salles dans beaucoup de grandes villes du pays, on a mis le film aussi sur cette plateforme personnelle pour que tout le monde puisse louer le film. Alors ça a été comme une sortie hybride dans les deux mondes. 

Et comment pressentez-vous l’avenir du cinéma indépendant avec l’année qui vient de se passer ?

DT : Très difficile. Je pense que la pandémie aussi donne un avantage aux grands films et aux grandes productions qui ont de l’argent. Mais pour un petit film on doit travailler d’une façon plus économique et plus dynamique donc c’est très difficile, la position d’un film indépendant c’est toujours difficile. Je crois que maintenant c’est encore plus difficile. En Espagne aussi parce qu’il y a une présence brutale de la production de films par les chaînes de télévision donc ça fait une concurrence incroyable pour les petits films indépendants, qui sortent dans un esprit un peu plus critique vis à vis de la société, cherchant un public un peu plus exigeant, qui aime voir des choses qui font penser. Ça c’est un travail un peu plus difficile mais ça a toujours été difficile, c’est pas facile de faire ce métier. 

Et vous M. Trueba comme vous en sortez-vous ?

DT : Je m’en sors sans me poser beaucoup de questions parce que ce sont des métiers qui sont toujours difficiles, imprévisibles, alors tu as un esprit qui est un peu plus préparé pour des situations extrêmes et critiques que probablement celui des autres travailleurs qui ont une habitude de tranquillité et de normalité. 

Et pour celles et ceux qui veulent encore plus de cinéma, le festival du cinéma espagnol de Nantes joue les prolongations. Sur leur site vous pouvez visionner les films primés jusqu’au 11 avril. Puis si les conditions sanitaires le permettent le festival se prolongera dans les salles de cinéma 3 weekends en mai et en juin avec notamment la venue exceptionnelle de Marisa Paredes. 

Crédit photos : festival du cinéma espagnol de Nantes