L'Etat de droit - La chronique du Taurillon

 L'Etat de droit - La chronique du Taurillon

Sophia, cette semaine vous avez décidé de consacrer votre chronique sur l'État de droit en Europe à la Slovénie.

Oui, Cécile, car il y a dix jours, une délégation du Parlement européen s'est rendue dans ce petit pays des Balkans occidentaux pour y mener une enquête sur le respect de l'Etat de droit. Huit eurodéputés sont allés rencontrer les autorités nationales, des ONG et des journalistes. Des journalistes, oui, parce que bien que la Slovénie se situe à la 36ème place au classement mondial de la liberté de la presse en 2021 (soit deux places seulement derrière la France). Elle perd quatre places cette année, et emprunte un chemin dangereux depuis le retour au pouvoir au printemps 2020 du premier ministre du parti d'extrême droite, Janez Jansa. Le chef du gouvernement issu du parti SDS n'a de cesse de fustiger les médias à grands coups de tribunes ou de tweets. 

Un chemin dangereux, donc, qui ressemble drôlement à celui qu'a emprunté la Hongrie de Viktor Orban.

Avec quelles conclusions sont-ils rentrés à Bruxelles ? 

L'une des plus importantes concerne la STA, l'agence de presse slovène créée en 1990 après que le pays a quitté l'ancienne fédération yougoslave. 

Fin 2020, le gouvernement de Janez Jansa a supprimé le financement de la STA au motif qu'il s'agissait d'une "honte nationale" à cause du ton jugé qu'il jugeait trop critique à son endroit. Le PM avait par exemple reproché à l'agence dans un tweet l'espace donné à une interview d'un musicien critique de la politique gouvernementale, trop important en comparaison de sa rencontre avec le chef du gouvernement hongrois Viktor Orban. 

Privée en 2021 des 2 millions d'euros de subvention annuelle, la survie de l'agence et le paiement des salariés des 90 agenciers qui y travaillent sont menacés. 

Des associations de journalistes slovènes ont lancé une campagne de financement qui a récolté 270 000 euros depuis le printemps dernier, ce qui est positif mais loin d'être suffisant pour permettre à l'agence de presse de travailler correctement pour réaliser sa mission d'information auprès des 2 millions de Slovènes. 

Le parti conservateur SDS avait aussi réclamé le départ du responsable de l'agence de presse slovène, Bojan Veselinovic, le traitant "d'outil politique d'extrême gauche". Le 30 septembre dernier celui-ci a annoncé sa démission, en déclarant qu'il ne pouvait pas accepter les conditions de travail qui lui étaient imposées et déplorant que la STA ait travaillé gratuitement pendant 273 jours depuis que les subventions ont été suspendues.

Le 6 septembre dernier, la Cour suprême slovène a enjoint le gouvernement de Janez Jansa à verser son dû à la STA : « Le service public de STA doit être financé par son fondateur » ce qui n'a pas encore été mis en œuvre. 

Les eurodéputés sont revenus de leur mission le 15 octobre dernier en qualifiant la situation de la STA de "désastreuse" et ont appelé le gouvernement à appliquer sans délai l'arrêt de la plus haute juridiction pour qu'elle puisse reprendre son fonctionnement normal.

Ils ont aussi dénoncé le traitement réservé à certains journalistes lanceurs d'alertes et qui sont victimes de campagnes de harcèlement sur les réseaux sociaux.

C'est ça, et le plus grave est que ces campagnes de harcèlement sont initiées par le gouvernement au pouvoir lui-même. 

C'est ce qui est arrivé à Blaz Zgaga, un journaliste d'investigation indépendant slovène qui a travaillé pour les médias les plus prestigieux du pays, publié dans The Guardian ou The Observer et fait partie du consortium international des journalistes d'investigation. Il a travaillé sur la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement Jansa, et voulait enquêter sur la cellule de crise mise en place, pointant son manque de légitimité et remettant en doute son travail. 

Le cellule de crise gouvernementale elle-même, via son compte Twitter officiel, avait relayé un tweet anonyme insultant Blaz Zgaga dans lequel il était dit que le journaliste faisait partie d’un groupe de « quatre patients psychiatriques échappés de quarantaine », tout en précisant qu’ils étaient porteurs d’un « virus Covid-Marx/Lénine ». Il s'est mis à pleuvoir des articles issus de la "propagande de l'État slovène" selon les mots du journaliste d'investigation, dans lequel on le qualifiait de "menteur" et de "journaliste de l'État profond". Il a reçu depuis des dizaines de menaces de mort. 

Quels sont les autres motifs d'inquiétude sur la liberté de la presse et l'état de droit en Slovénie ? 

La mission d'information est revenue avec d'autres remarques sur la santé de la presse slovène. Le financement des médias, notamment, est un motif de vigilance important. En Slovénie, comme en Hongrie, le gouvernement distribue les aides à la presse d'une façon discriminatoire et privilégie les médias favorables à la politique gouvernementale et négligeant ceux qui sont critiques. 

Aussi, sous prétexte de la lutte contre le coronavirus, le gouvernement a suspendu la vente de petits journaux dans les kiosques et commerces, asphyxiant les médias privés qui évidemment en ont beaucoup souffert économiquement.

La Slovénie est depuis le 1er juillet dernier et jusqu'à fin décembre à la tête de la présidence du Conseil de l'UE. Quelles conséquences sur la défense de la liberté de la presse ? 

Le pays chargé de la présidence du conseil de l'UE a le droit de fixer l'ordre du jour du Conseil et de parler au nom de l'Union. C'est un droit légitime de chaque pays membre de l'Union européenne. 

La vigilance des ONG comme RSF et des eurodéputés était donc très forte pour que rien ne soit fait pour rogner la liberté de la presse durant ces six mois. 

En janvier, c'est la France qui récupère le témoin du relais à la présidence du conseil, et la question de la liberté de la presse a d'ores et déjà été affichée au menu des travaux du conseil.

Sophia Berrada au micro de Cécile Dauguet