Wilson Fache, journaliste indépendant, est revenu le 2 octobre d'Afghanistan. Il a passé plusieurs semaines dans ce pays retombé sous la coupe des Talibans le 15 août dernier. Il raconte le climat si particulier à Kaboul et en province, revient sur les inquiétudes des femmes, la situation économique très précaire et son travail de journaliste.
Cette émission est le premier numéro - en format exceptionnel d'une heure - de l'émission Regard d'Orient que propose Wilson Fache chaque mois sur euradio.
Wilson Fache, vous êtes journaliste indépendant depuis 6 ans. Vous arpentez le Moyen-Orient, qui s'est agrandit, puisque vous revenez d'Afghanistan. On vous a entendu dans de nombreuses antennes radio ces dernières semaines, à la fois en Belgique et en France. Vous allez venir aujourd'hui nous parler dans cette émission spéciale, une émission que vous allez proposer chaque mois. Elle fera une demi heure, mais aujourd'hui, on a décidé de faire une émission spéciale d'une heure pour évoquer la situation l'Afghanistan.
Vous avez, j'imagine, tous suivi ce qui s'est passé depuis depuis quelques mois en Afghanistan, pays d'environ 40 millions d'habitants qui avait été dominé par les talibans de 1956 à 2001, il y a tout juste vingt ans ; où une coalition internationale avait essayé d'installer un pouvoir à l'occidentale et avec le retrait des Américains, décidé dans des conditions un peu précipitées. Le régime, afghan s'est effondré comme un château de cartes le 15 août au matin, on s'en souvient. Ashraf Ghani, le Président, avait annoncé que tout était sous contrôle. Mais le 15 au soir, il était en fuite au Tadjikistan et ensuite aux Emirats arabes unis. Une situation extrêmement inquiétante, notamment, quand on parle d'inquiétude pour l'Afghanistan, dont on pense à la situation des femmes, même si les talibans ont annoncé un gouvernement inclusif qu'on attend toujours. Certains ont cru à ses promesses. On verra ce qu'il en est. En tout cas, les premiers signaux envoyés par les talibans, qui sont au pouvoir depuis un mois et demi, ne sont pas très encourageants sur ce point comme sur d'autres.
Mais on se rappelle des images du 15 août, d'une partie de la population afghane, notamment de Kaboul, qui cherchait par tous les moyens à prendre la fuite. Avec ses images de l'aéroport de Kaboul complètement saturé. Images déchirantes et où on voyait les mains des gens essayer de monter dans des avions. Et puis, images aussi stupéfiantes parfois, - on tombe dans le délire -, mais on voyait parfois des avions où l'on mettait des chiens et des chats.
Wilson, vous avez essayé, ou plutôt, vous avez réussi à aller sur place alors que tout le monde essayait de fuir ce pays. Comment est ce qu'on montre un tel projet ? Comment décide-t-on, le 15 août, dans une situation extrêmement compliquée, de se rendre sur place et comment on prépare son terrain ?
La genèse de ce projet, elle a commencé bien avant la chute de Kaboul, parce que ça faisait déjà depuis mai-juin que j'avais prévu de faire un séjour d'un mois en Afghanistan à travers tout le pays pour raconter ce retrait américain qui était donc prévu au 31 août 2021. Donc, cette date était connue et deux semaines plus tard, on avait aussi le 20ème anniversaire du 11 septembre. Donc je m'étais dit ça va être l'opportunité parfaite pour se rendre sur place et faire des projets en lien avec ces actualités. A la fois ce retrait américain et international et ce vingtième anniversaire du 11 septembre dont on sait que la guerre de vengeance, la guerre contre la terreur que les Américains avaient menée, était aussi arrivée jusqu'à Kaboul et avait menée à la chute du premier régime taliban.
Sauf que tout a changé, évidemment, puisque les talibans ont avancé bien plus rapidement que prévu et se sont emparés de tout le pays en quelques jours seulement, en quelques semaines. Et donc, il a fallu réimaginer ce projet. À la base, j'avais été voir différents médias, parce que je suis journaliste indépendant. Donc je suis allé à la RTBF, qui collabore régulièrement en télé et en radio. J'avais été voir l'émission Quotidien sur la chaîne TMC, qui voulait aussi des reportages. Et comme ça, différents médias pour prévoir des reportages qui étaient censés être parler de la fin de la République. Et puis, finalement, la République n'existait plus et s'est effondrée le 15 août en l'espace de quelques heures. Donc, il a fallu déjà trouver le moyen de se rendre sur place parce qu'il y avait plus de vols commerciaux. L'aéroport fonctionnait encore, mais uniquement pour les évacuations militaires organisées notamment par les Etats-Unis, mais aussi la Belgique et la France, et l'Allemagne et les Qataris... Et il était très compliqué de se rendre sur place.
Donc, la première idée, ça a été de négocier une place dans un vol militaire. Puisqu'il fallait bien que des vols aillent sur place pour évacuer les gens, des vols qui étaient donc vides à l'aller et plein au retour. J'ai contacté les Belges qui m'ont répondu non catégoriquement. J'ai contacté les Français qui m'ont dit la même chose, les Américains qui ont dit peut-être. Les Qataris qui n'ont pas répondu. Finalement, j'ai vu d'autres collègues qui arrivaient à rentrer sur place, non pas par l'aéroport, mais par la frontière par l'Ouzbékistan. Et il s'est avéré qu'il est en fait extrêmement simple de se rendre en Afghanistan via l'Ouzbékistan. C'est ce que j'ai fait, ce qu'on a fait puisque j'étais en groupe avec d'autres journalistes, - deux journalistes -, un photographe et une rédactrice, qui étaient aux commandes pour le magazine français Marianne.
Là, on est le 4 septembre, donc 10 jours après la chute de la République et le retour au pouvoir des talibans. Et là, aux postes frontières, c'est un Talib qui nous attend. Un combattant taliban prend mon passeport. Il regarde que j'ai bien un visa afghan, ce qui était très étrange et absurde à la fois, parce que c'est un visa qui m'a été donné par une République qui n'existe plus et, il a noté les informations de ce visa puis nous a laissé entrer dans le pays. On avait fait en sorte qu'un chauffeur nous attende de l'autre côté. Et là commence un périple, puisqu'on arrive dans la ville de Mazâr-e Charif et on commence à travailler.