La guerre des étoiles

Le projet européen Hermès

Photo de john mckenna - Pexels Le projet européen Hermès
Photo de john mckenna - Pexels

Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.

Dans les années 70s, Ariane 1 voit le jour, et avec elle naît un projet européen grandiose, dans les pas du programme Apollo outre-Atlantique : une navette européenne pour emmener les astronautes européens dans l’espace. Hermès a été successivement la plus grande ambition et le plus grand échec de la coopération spatiale européenne, et il a fallu attendre 2023 pour que soit remis sur la table un projet similaire. Cinquante ans plus tard, la navette Hermès est toujours le symbole de la défaite de la construction européenne.

A l’échelle de la construction européenne, les années 70s se situent avant même l’Union européenne, à une époque où la Communauté Économique Européenne s’intéressait avant tout à une coopération économique et politique. Pourquoi un tel projet est-il né ?

La raison première est la volonté d’une autonomie stratégique européenne. Comme pour tous les secteurs, hier et aujourd’hui, l’Europe connaît des moments de grande coopération lorsque les Etats qui la composent reconnaissent la necessité et l’utilité de travailler ensemble et s’y attellent. A l’époque du projet Hermès, comme aujourd’hui avec l’émergence d’une politique de défense européenne, c’est bien une menace à l’est et l’inquiétude d’être en retard et dépendants des Américains qui poussent les pays européens à s’intéresser à un projet de vol habité autonome commun. Pour lancer des satellites géostationnaires européens, l’Europe développe la fusée Ariane 1, pour accueillir les astronautes européens, l’Europe construit le module d’expérience Columbus de la station spatiale internationale (l’ISS), et pour emmener les astronautes européens jusqu’à Columbus sur une fusée Ariane, l’Europe imagine la navette Hermès…

Donc Ariane 1 a permis à l’Europe d’avoir un accès indépendant à l’espace, et Columbus d’avoir un laboratoire dans l’ISS. Avec deux tels succès, pourquoi est-ce que le projet Hermès n’a pas abouti ?

Déjà, la naissance du projet a été compliquée : en 1975 l’idée est proposée, mais elle n’est approuvée par l’ESA que douze ans plus tard, en 1987. Même à l’échelle des projets de l’époque, c’est très long, il était prévu que la navette vole avec la fusée Ariane 5 ! Sur le plan politique, c’est un échec qui tient à deux facteurs, l’un est le contexte international, l’autre est spécifiquement européen. Il ne faut pas oublier que a course à l’espace est née de la guerre froide entre les alliés occidentaux d’un côté, et l’Union soviétique de l’autre. Sauf qu’à la fin des années 80s, l’Allemagne se réunifie, et le désagrégement de l’URSS commence… C’est le premier bouleversement international qui précipite l’échec de la navette Hermès. D’une part, la chute de l’URSS éloigne l’urgence d’une autonomie stratégique pour les occidentaux, et le rythme de la conquête spatiale ralentit drastiquement. D’autre part, en Europe, le projet Hermès était financé pour moitié par la France, 15% par l’Allemagne de l’Ouest, 13% par l’Italie, le reste par d’autres pays européens. Mais l’Allemagne d’Helmut Kohl a soudainement la moitié d’un pays à financer pour l’amener aux standards de développement de l’ouest, et Hermès, qui coûtait très cher, n’était plus une priorité. A partir de là, le projet est relégué, et il est abandonné officiellement en 1992.

Quelles leçons l’Europe doit-elle tirer de l’histoire de la navette Hermès ?

Il y a plusieurs leçons à en retenir je pense. Déjà, que l’utilité des projets européens de lanceurs Ariane et des modules de l’ISS montrent qu’une navette européenne aurait été un atout et possiblement une réussite. Surtout qu’avec l’accident tragique de la navette américaine Challenger en 1986 qui provoque la mort des astronautes à bord, l’Europe aurait pu proposer une solution alternative viable et sécurisée et s’imposer comme un partenaire fiable du vol habité international. Ensuite, que la sélection de projets à financer doit être facilitée à l’échelle européenne, entre la proposition du CNES et l’accord de l’ESA, douze ans représente des bonds technologiques que l’on ne peut pas se permettre dans un secteur aussi coûteux et constamment en évolution. C’est un problème dont souffre actuellement Ariane 6, dont le développement trop long en a fait une fusée presque obsolète avant même son premier vol. Pour finir, que les intérêts nationaux ne doivent pas servir d’excuse pour se détourner d’une coopération à l’échelle européenne. Il y a aussi une leçon positive à en tirer : avec la chute de l’URSS, l’ESA a entamé très rapidement une coopération sur le projet de module MIR avec l’agence spatiale russe. Une preuve que l’ouverture et la coopération apportent des succès fructueux lorsqu’on leur donne leur chance !

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.

Sources

- European Space Agency. “History: Hermes spaceplane, 1987”, publié le 16 février 2011, consulté le 16 octobre 2024

- “Pourquoi la navette spatiale européenne Hermès n'a jamais vu le jour ?” [interview], Ciel & Espace, 14 mars 2022.

- Leproux, François. Hermès, une ambition en héritage, 2021, éditions JPO, 161 pages.