La guerre des étoiles

Faut- il être une dictature pour avoir un programme spatial efficace ?

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Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.

Bonjour Iris, vous vouliez aujourd’hui tenter de répondre à la question “Faut-il être une dictature pour avoir un programme spatial efficace ?” Est-ce une question provoc’, ou mérite-elle vraiment qu’on la pose ?

C’est une question qu’il est très intéressant de se poser, je pense. Sans même y répondre, elle soulève déjà tellement de choses : quelles sont les dictatures qui viennent à l’esprit quand on parle d’accès au spatial ? qu’est-ce qu’un programme spatial efficace ? quel rapport entre efficacité et régime politique ? Des questions qu’il peut être intéressant d’élargir à d’autres secteurs, d’ailleurs…

Donc pour poser des éléments de réponses, il faut d’abord identifier des régimes qui ne répondent pas au modèle de démocratie occidentale standard, et qui ont un programme spatial avancé, il y en a trois : la Chine, un vrai régime totalitaire ; l’Inde, qui glisse vers l’autoritarisme, une érosion des libertés fondamentales et individuelles, sans parler des entraves à la liberté de la presse ; et les Emirats Arabes Unis, une monarchie fédérale où la liberté d’expression est réprimée. Ce que ces pays ont en commun est un programme spatial à un stade d'obtention de résultats innovants, qui font avancer la recherche et créent des partenariats avec d’autres agences spatiales. De la sonde émiratie Hope qui orbite autour de Mars à la mission indienne Chandrayaan-3 sur la Lune, ces régimes autoritaires sont résolument des acteurs du secteur spatial.

L’agence spatiale européenne peine à tenir ses programmes dans leur budget et calendrier, nous en parlions la semaine dernière, et doit lancer ses sondes et satellites sur des fusées américaines pour l’instant… Est-ce parce que l’Europe n’est pas une dictature ?

On en arrive à la question de l’efficacité, est-ce que des pressions exercées sur des scientifiques les rendent plus efficaces ? Ou est-ce que les fournisseurs d’accès à l’espace des agences spatiales dans les démocraties ayant historiquement eu un accès à l’espace sont plus gourmandes, voire plus fainéantes ? Peut-être un peu des deux, mais avant de kidnapper les familles de nos scientifiques, ça mérite de se pencher sur certains exemples : le programme américain Artémis a déjà dépassé son budget de plus de six milliards de dollars, et le Congrès américain a reproché à la NASA de laisser ses sous-traitants profiter de rallonges financières. En Inde, la mission lunaire Chandrayaan-3 n’a pas seulement impressionné le reste du monde par la réussite d’un alunissage complexe, mais aussi parce que le budget de la mission était ridiculement petit, environ 75 millions d’euros ! L’Europe cherche à suivre l’exemple de l’Inde, l’ESA a lancé au sommet de Séville de 2023 un appel à développer une navette cargo dans le même budget. Mais l’Europe repose aussi sur un modèle américain, où les agences spatiales ne développent plus elles-mêmes les technologies, et faire appel à des entreprises externes les rendent vulnérables au dépassement de coûts sur lesquels elles n’ont pas la main.

Faut-il comprendre que seuls les régimes autoritaires ont encore des agences spatiales qui font de la recherche et développement en interne ?

Non ce serait exagéré. La DARPA, l’agence pour les projets de recherche avancée de défense américaine, et la NASA continuent de consacrer des fonds importants et des équipes entières au développement de nouvelles technologies. De notre côté de l’Atlantique, l’ONERA, l’office national d'études et de recherches aérospatiales français –l’équivalent de la DARPA en France– travaille dur au développement de technologies de rupture. Mais encore une fois le modèle européen souffre de la comparaison : le développement des lanceurs chinois est plus rapide que ceux européens, depuis 2020 la Chine effectue avec un avion orbital réutilisable des tours de la planète et délivre des charges utiles en orbite dans le plus grand secret, là où l’ONERA s’est fixé l’horizon 2050 pour le développement d’un avion hypersonique… Autre exemple parlant, le CNES, l’agence spatiale française, et la CNSA, l’agence spatiale chinoise, ont collaboré pendant dix ans sur le satellite d’observation SVOM, qui a été lancé sur une fusée chinoise.

Ça montre que des partenariats scientifiques très intéressants peuvent être menés entre pays occidentaux et régimes autoritaires, mais que l’Europe reste pour l’instant dépendante de ces partenariats, et c’est une menace pour sa souveraineté.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.