Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
Nous nous retrouvons aujourd’hui dans La Guerre des Étoiles pour parler de guerre, mais pas entre les étoiles !
Oui, comme dans les films de George Lucas, qui s’était inspiré d’ailleurs de la politique américaine de conquête spatiale pendant la guerre froide, c’est encore et toujours les humains qui se font la guerre, sur fond bleu étoilé et noir intersidéral.
Quand on parle de guerre, on pense bombes, missiles, sous-marins, avions, ruines de bâtiments et civils blessés… Quel rôle joue le spatial là-dedans ?
Un rôle omniprésent et central. De l’observation pour le renseignement militaire hors période et zone de conflits à l’organisation d’aide humanitaire pour l’évacuation de civils, en passant par la propulsion des missiles, le ciblage des frappes et les systèmes de communication, on peut tout relier au spatial, tant les applications militaires du secteur spatial sont vastes.
Et l’exploration spatiale est née, d’une certaine manière, du développement militaire, puisque les technologies nécessaires pour propulser une fusée dans l’espace sont similaires à celles des missiles balistiques intercontinentaux. C’est d’ailleurs ça qui a immédiatement inquiété les Américains quand les Soviétiques ont réussi à lancer leurs premières fusées, c’était le signe que s’ils pouvaient atteindre l’orbite terrestre, alors ils pouvaient atteindre le territoire américain.
Quelles sont les applications militaires du secteur spatial les plus répandues, aujourd’hui ?
L’observation pour le renseignement militaire. Les satellites de renseignement sont constamment renouvelés, des appels d’offre lancés, des contrats sont passés avec des entreprises civiles pour utiliser leurs données aussi, le renseignement c’est vraiment central comme usage, surtout dans un monde où tout va tellement vite, avoir une information en temps réel ou presque, c’est incroyablement précieux.
Ensuite il y a les communications sécurisées, pour par exemple les avions militaires, pour s’assurer qu’ils ne soient pas piratés, que les données de navigation et de communication qu’ils reçoivent ne soient pas brouillées. C’est encore quelque chose en évolution, pour les nuages de drones notamment, parce qu’on assiste à une dronisation des conflits, qui permettent un avantage sur les théâtres d’opération, en submergeant par le nombre, en envoyant des nuées par exemple, ça permet de faire de la reconnaissance de terrain sans risquer de vies humaines, mais les signaux sont plus facilement brouillables.
Le secteur spatial est constamment en évolution, en expansion, on en voit des exemples toutes les semaines. Quel est l’avenir des applications militaires ?
Toujours plus de précision, de sécurisation des données, des fréquences etc. C’est pour ça que les constellations de renseignement et de communication sont constamment alimentées par de nouveaux éléments plus performants, et régulièrement renouvelées.
Après, la révolution du XXIe siècle, dans nos vies, dans les conflits, et le secteur spatial n’est pas une exception, c’est l’intelligence artificielle.
Les entreprises du new space utilisent l’IA pour calculer, pour chercher à innover sur les matériaux, pour autonomiser les constellations satellitaires pour que deux satellites puissent automatiquement détecter une probable collision et s’éviter, sans intervention humaine ; ce qui va devenir de plus en plus nécessaire vu la surpopulation croissante en orbite terrestre.
Mais l’IA a aussi des applications militaires, pour gérer des nuages de drones par exemple, ou pour entraîner l’IA à la reconnaissance d’image et de cibles.
On va vers des IA qui identifieraient les cibles à bombarder, par exemple ?
Sans contrôle humain à certaines étapes, je n’espère pas, mais c’est l’idée. Parce qu’avoir en flux continu des images en haute résolution des zones à surveiller, c’est super, mais la charge de traitement de ces données pour des humains est énorme et inatteignable. C’est là qu’en entraînant une IA à faire la différence entre une usine de pneus et une usine de raffinement d’uranium en Iran ; à identifier des raids djihadistes sur des villages ou des écoles au Sahel, on peut décharger les analystes humains. Et c’est ce que fait l’un des leaders de l’industrie de la défense et du spatial Lockheed Martin, qui s’est allié à une entreprise finlandaise, Iceye.
Leur but est clairement affiché de rendre plus expéditif le processus de décision sur une intervention ou une frappe militaire, et même s’ils travaillent avec prudence sur la résilience et les multiples vérifications des systèmes pour certifier de la fiabilité des images et de leur interprétation, on est quand même face à une évolution des applications militaires du secteur spatial qui va vers toujours plus d’autonomie des systèmes.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.