Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
Bonjour Iris Herbelot ! Aujourd'hui, vous allez nous parler du rapport Draghi.
Le 9 septembre 2024 est paru le rapport de Mario Draghi sur l’avenir de la compétitivité de l’Union européenne. L’ancien président de la Banque Centrale Européenne, selon les mots du communiqué du Parlement européen, “a présenté son projet pour améliorer la compétitivité de l’UE par une coopération plus étroite dans les domaines essentiels et des investissements massifs.” Le domaine spatial était aussi concerné par le rapport, c’est après tout un secteur en ébullition, et si le New Space européen a des choses à envier au secteur américain, il a su attirer l’attention néanmoins.
Quelle place le secteur spatial occupe-t-il dans le rapport Draghi?
C’est un secteur qui n’occupe pas une place centrale, c’est certain. Mais il est intéressant de soulever plusieurs points : d’une part, le spatial figure dans le rapport au titre de la politique industrielle de l’UE. D’autre part, le domaine spatial a été rattaché à celui de la défense dans le nouveau portefeuille de la Commission européenne, ce qui montre qu’on lui attache un intérêt grandissant.
Ensuite, les recommandations du rapport soulignent aussi la dimension politique et décisionnelle propre au spatial en Europe, et s’attaquer à ce chantier montre une volonté de l’UE de s’investir davantage, pas juste d’investir, dans le secteur.
Quelles sont ces recommandations ?
Le rapport Draghi appelle à mettre fin au principe de retour géographique de l’ESA, c’est-à-dire à arrêter de reverser les subventions proportionnellement aux pays les plus contributeurs du budget de l’agence. C’est un système qu’il est difficile de remettre en question politiquement, car il profite à la poignée de pays moteurs au sein de l’UE également : la France, l’Italie, l’Allemagne. Mais c’est un système qui favorise avant tout les mêmes entreprises, déjà installées et avec pignon sur rue, et l’émergence de nouvelles entreprises du secteur est favorisée uniquement dans ces pays-là, au détriment de talents dans d’autres pays. Paradoxalement, c’est le système inverse de celui des fonds structurels européens, où les plus gros contributeurs participent au financement de la cohésion territoriale sur l’ensemble du territoire européen.
Et pourquoi vouloir mettre fin à ce système au nom de la compétitivité européenne ?
Le problème de la compétitivité européenne dans le new space s’était déjà posé l’an dernier au Sommet spatial de Séville en novembre, l’ESA avait annoncé vouloir ouvrir ses appels d’offres à un plus grand nombre d’entreprises européennes pour favoriser une compétitivité “à l’américaine”. Bien sûr, cela se ferait au détriment du géant européen Ariane, qui a été critique de cette position en novembre dernier et du rapport Draghi cet automne.
Mais le rapport présente des arguments en faveur d’une ouverture à plus de nouveaux acteurs : le chiffre d’affaires du secteur baisse chaque année depuis 2017, alors qu’il n’y a jamais eu autant de demandes d’opérateurs institutionnels et privés pour placer des charges utiles en orbite terrestre ! L’industrie spatiale européenne est en crise selon le rapport, et c’est vrai que c’est le seul continent investi dans le secteur qui ne dispose plus d’un lanceur indépendant. Le doigt est pointé sur le manque d’innovations technologiques des groupes européens, surtout lorsqu’on les compare aux technologies de rupture innovées par les entreprises américaines et chinoises.
Est-ce que mettre fin au retour géographique est pour autant une solution magique ?
Concrètement, le rapport recommande une réduction de la fragmentation des systèmes décisionnels des groupes européens. C’est un problème spécifique à l’Europe, que l’on constate dans tous les secteurs. Là où les Etats-Unis est un pays avec la même langue et un territoire sans frontières internes, idem pour la Chine ou l’Inde, l’Europe, l’Union européenne et le Royaume-Uni lorsqu’on s’intéresse au secteur spatial, est très fragmentée. Mais Ariane n’a pas tort en soulignant qu’abandonner le soutien aux acteurs existants n’est pas gage de réussite des acteurs émergents. Les fabricants de lanceurs européens doivent jongler avec un casse-tête linguistique, organisationnel et politique qu’il faut indéniablement simplifier, mais la composante européenne est aussi une force : certains pays sont spécialisés dans la fabrication de composants spécifiques, il faut préserver ce savoir-faire et cette coopération.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
Source : Rapport Draghi + Andrew Parsonson, “EU Report Advocates for Scrapping ESA Geo-Return Policy”, European Space Flight, Sep 14, 2024