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Présidentielles en Turquie : Analyse et Décryptage avec Aurélien Denizeau

Aurelien denizeau Présidentielles en Turquie : Analyse et Décryptage avec Aurélien Denizeau
Aurelien denizeau

Bienvenue à celles et ceux qui nous écoutent, Aurelien Denizeau, bonjour ! Monsieur Denizeau, vous etes docteur en science politique et relations internationales ; vous êtes notamment enseignant au sein de l’institut libre des relations internationales et des sciences politiques, spécialisé autour des affaires turques ainsi que des questions géopolitiques au moyen orient ! Aujourd’hui, nous aborderons avec vous les résultats des dernières élections législatives/présidentielles ayant eu lieu le mois dernier en Turquie.

Pour bien comprendre dans quelle situation se trouve la Turquie en 2023 (nos auditeurs se rappelleront sans doute des vagues sismiques ayant frappé l’est de la Turquie et de la Syrie durant le courant du mois de février), cette dernière se remet donc tout juste de cette catastrophe. Est-ce que cette catastrophe est encore le principal facteur ayant dicté ses élections ? 

Et bien, contrairement à ce qu'on a pensé sur le moment, lors de l'immédiateté du choc qui a suivi le séisme, en réalité cette question, cette catastrophe naturelle a assez peu pesé dans la campagne. Elle a assez peu pesé sous deux angles : d'abord, elle a été assez peu utilisée dans la campagne, que ce soit le gouvernement ou les parties d'opposition. On a constaté que finalement aucun des deux camps ne souhaitaient jouer sur cette question : le gouvernement s'est fait discret, l'opposition n'a pas vraiment attaquée les manquements qui avaient été observés avant le séisme, lors de l’acheminement des secours ; ensuite, deuxième aspect, et bien il ne semble pas que les séismes, son impact aient eu des conséquences sur les scores des deux grandes coalitions, puisqu’en réalité Recep Tayik Erdoan et le parti d'opposition ont fait dans les régions touchés par le séisme des scores plus ou moins proche, voir parfois identique à ce qu'on avait observé lors des dernières élections. Il n'y a donc pas le sentiment que pour l'instant, cela ait joué un role sur la campagne. 

D’accord ! Y compris sur le déroulé ? Je sais que certaines populations dans certains villages auront été deplacés, est ce que cela aurait pu avoir une incidence sur leur vote ?

Oui, il y a eu il y a eu deux problèmes qui se sont posés : le premier bien sûr, c'était la relocalisation des déplacés, ceux qui avaient perdu leur maison. Où est-ce qu'ils sont allés voter, comment est-ce qu'il pouvait retrouver une adresse administrative pour aller voter ? La deuxième question, bien sûr, c'est de savoir si ce grand bouleversement a pu faciliter la mise en place de fraudes. Evidemment, ces deux points ont pu avoir un impact sur le scrutin :  alors, dans l'opposition, certains ont même parlé de fraude massive, on a parlé de bourrage d'urnes, on a dit que certains syriens auraient reçu la nationalité en lieu et place de personnes décédées pour voter à leur place, et finalement faire basculer le vote en faveur de Rejep Tayik Erdogan… De ce qu'on a observé en tout cas au niveau global, et d'après les analyses qu'on a pour le moment, mais qu'il faut prendre avec prudence, il ne semble pas que ça ait cependant pesé de façon décisive, c'est-à-dire que ça a pu changer 1 %, 1 % et demi grand maximum, mais ça n'a pas vraiment changé les grandes tendances dans l’élection. 

Petit rappel d’ordre plus constitutionnel, si vous me permettez cette expression : comment est ce possible que le président de la République Turque, en l’occurrence monsieur Erdogan, dispose d’un nombre de mandats illimités ? Par exemple en France, le président de la république ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs !

Alors, il est vrai qu'en France, on a une limitation des mandats, mais qui est finalement assez récenten, qui a été adoptée dans les années 2000 seulement, et qui auparavant n'existait pas. Après tout, on peut même se poser la question, philosophiquement, de savoir si, dans un cadre démocratique après tout, si la population veut prolonger son dirigeant indéfiniment, est-ce qu'on peut l'en empêcher ? Il se trouve que, dans le cas turc, on a en réalité une limitation; on a une limitation de mandat, c'est-à-dire que le Président de la République ne peut faire que deux mandats entiers. Il ne peut faire que deux mandats entiers, d'après d'ailleurs la réforme constitutionnelle adoptée en 2017; donc, en fait, c'est Recep Tayyip Erdoğan lui-même qui a posé cette limite. Pour parer à cette difficulté, en réalité ce qu'il a fait c'est qu'il a fait des élections anticipées; il a fait des élections anticipées cette année, elle devait avoir lieu un peu plus tard, elles auront elles ont eu lieu finalement un peu plus tôt, ce qui fait qu'il n'a pas fait deux mandats entier, si vous voulez. Il a fait un mandat et 90 % d'un deuxième mandat ; donc même si ça a provoqué des débats parmi les juristes et les constitutionnalistes turques, finalement c'est passé, même dans l'opposition on l'a pas beaucoup embêté avec ça, on a considéré que pour cette fois ça passe. Par contre, à moins qu'il y ait un gros changement de Constitution en vue, et pour l'instant il n'a pas la majorité pour ça, c'est clairement son dernier mandat. 

52%, c’est donc le score obtenu par Recep Tayik Erdogan, lors du second tour face au leader de « l’alliance de la nation », Kemal Kilicdaroglu. Seriez-vous en mesure de nous présenter les grandes tendances politiques des grands partis présent durant la course à la présidentielle ? Que signifie concrètement ce résultat aux élections quant à la situation politique de la Turquie actuellement ?

Alors, on a la 3 éléments, et en réalité, là où je vais vous décevoir, c'est que il finalement je n’ai  pas grand-chose à dire pour les deux grandes tendances qui étaient représentées par les candidats, pour la bonne raison qu'en réalité ces grandes tendances c'était : on soutient le président erdogan où on veut que le président erdogan s’en aille, c'était uniquement ça !  Parce qu'il existe des tendances idéologiques en Turquie, vous avez plusieurs grands blocs : vous avez des kemalistes, qui se revendiquent de l'héritage de Mustapha Kemal Ataturk, un mélange de nationalisme, de républicanisme et de laïcité. Vous avez des nationalistes qui sont plus radicaux, vous avez des islamistes bien sûr, vous avez également des mouvements pro-kurdes qui souhaitent plus d'autonomie pour les populations Kurdes, et des mouvements, alors, plus marginaux mais d'une part des mouvements marxiste gauchisant et d'autre part des mouvements libéraux libéraux conservateur de centre droit.  Voila le panorama des forces idéologiques ; or, il se trouve que toutes ses forces ont été divisées pendant l'élection, parce que le président Erdogan a tellement polarisé “pour ou contre lui”, que dans chacune de ces tendances, vous avez eu des gens qui le soutenaient et des gens qui étaient contre lui, ce qui fait que si vous prenez par exemple les nationalistes, vous avez trois grands partis nationalistes : il y en a un qui soutenait le candidat d'opposition Kemal Kılıçdaroğlu, il y en a un qui soutient Erdogan,  et puis il y en a un qui s'est présenté en indépendant. Si vous prenez les mouvements pro-kurde, on retrouve la meme tendance : vous avez le mouvement pro-kurde historique traditionnel, l’HDP (parti démocratique des peuples), de tendance plutôt progressiste, a appelé à voter pour Kılıçdaroğlum; mais vous avez un parti Pro-kurde et plutôt islamiste le BBP (parti de la grande unité) qui lui a soutenu et a fait alliance avec Erdogan. Si vous prenez toutes les familles en fait politique, vous avez ce genre de division, ce qui fait que derrière Recep Tayyip Erdoğan, vous aviez globalement une coalition plutôt de type national conservatrice on va dire, marquée historiquement par l'islam politique, mais avec une tendance de plus en plus au nationalisme classique bien sûr, un nationalisme dur, mais qui se veut plus séculier et qui est articulé donc autour du parti de Recep Tayyip Erdoğan, l'AKP (partie de la justice et du développement), et d’un partie nationaliste historique, le MHP (parti d’action nationaliste), qui l’a rejoint en 2018 : ça c'est pour la coalition de gouvernement je dirais, la coalition qui se présentait et qui avait une certaine cohérence idéologique autour de cette formule nationale conservatrice. La ou cela se perdait complètement, c'était dans la coalition d'opposition puisqu’enfait, Kemal Kılıçdaroğlu était soutenu par : son parti Kemaliste bien sur, le CHP ; un parti nationaliste, un parti islamiste, et trois petits partis libéraux conservateurs, dont deux d'ailleurs sont menés par d'ancien ministre d’Erdoğan, ainsi qu’un soutien informel de la part du parti pro-kurde. Si vous voulez imaginer, il faudrait que chez nous on ait un candidat qui se revendique plus ou moins de Jean Pierre Chevènement, qu’il soit soutenu par le Front national, Christine Boutin, d'ancien ministres de Macron, plus des mouvements gauchistes basques ou corses qui soutiendraient tout ça ! Vous voyez qu’en fait, idéologiquement, il n'y avait pas vraiment de solidité ou de cohérence dans cette coalition. 

Partons désormais sur un scénario alternatif : si monsieur KIlicdaroglu avait été désigné vainqueur durant cette élection, que cela signifie dans les relations entre l’Union européenne et la Turquie ? On sait à quel point ces relations peuvent être sujet à tensions, que ce soit sur les sujets migratoires, territoriaux (tensions avec Grèce), sur les droits des femmes (retrait convention Istanbul en 2021). 

Eh bien, voila tout le problème des coalitions hétéroclites ! Prenons par exemple cette convention d'Istanbul dont vous parlez : l'opposition avait renoncée à la réintégrer parce qu'il y avait en son sein un parti islamiste, qui a rompu avec Erdoğan, et qui s'oppose à lui, mais qui s'opposait à la réintégration dans cet accord, pour vous donner un exemple. La forme aurait certainement changé, la forme aurait certainement changé, Kemal Kılıçdaroğlu incarne des élites turques plus ouvertes aux européens, lui meme est francophone puisqu’ayant vécu en france pendant quelques mois pour ses études… On aurait eu un ton plus diplomatique, on aurait eu la fin des grandes interpellations, la fin des provocations, avec aussi la fin du soutien aux mouvements communautaristes islamiques en Europe; après, est ce que sur le fond, nous aurions eu de profondes différences ? Il faut bien voir que sur les grands dossiers : Chypre, la Grèce, la question arménienne et bien sur les discussions autour des négociations relatives à l’intégration de la turquie au sein de l’UE, au fond le parti Kemaliste n’est pas bien différent de Recep Tayyip Erdoğan, et suit globalement les memes options. Je dirais meme plus : lorsque Recep Tayyip Erdoğan arrive au pouvoir dans les années 2000, c’est lui qui relance et précipite la Turquie dans le processus européen, tandis qu’à cette époque les Kemalistes s’y opposent farouchement, au nom du souverainisme, de l’intégrité de la nation, du refus de la supranationalité ect… Alors, entre temps, ils ont changé leurs fusils d’épaules, mais, et c’est ce que je veux vous dire par là, c'est que finalement en Turquie, le rapport à l'Union européenne et les grandes orientations diplomatiques, ça dépend pas tellement de l'idéologie du dirigeant et du parti au pouvoir mais ça dépend aujourd'hui bien plus des questions conjoncturelles, il semble peu probable qu'une victoire de Kılıçdaroğlu  aurait permis à la Turquie de régler des sujets aussi complexes que la question chypriote, ou la question du partage des eaux avec la Grèce par exemple. 

Finalement, rien de tout ce scénario ne se réalisera ; cependant, pouvons-nous nous attendre à une évolution de la politique d’Erdogan vis-à-vis de l’Europe ? Un durcissement, un rapprochement ?

Avec Erdoğan, on peut s'attendre à beaucoup de choses, parce que le personnage évolue systématiquement. D’ailleurs, je dis avec Erdoğan bien sûr pour la boutade, parce qu'on a un personnage imprévisible, parfois fantasque. A sa décharge, avec la situation géopolitique actuelle, [que ce soit] le rapport que les Américains entretiennent avec les européens, la question des Russes, des Ukrainiens… les choses peuvent évoluer rapidement en fonction de conjoncture qu'on ne maîtrise pas encore. Pour le moment, Recep Tayyip Erdoğan était dans une phase de réconciliation globale : en Méditerranée ; au Moyen-Orient, il s'est réconcilié avec l'Égypte, avec Israël, avec l'Arabie Saoudite, il est en train de se réconcilier avec Bachar al-Assad, moins rapidement que l'opposition l’aurait voulu, mais il se reconcilie tout de même ;  vous avez un processus, d'ailleurs, avec l'Arménie; également un processus de pacification qui est en cours avec l'Europe également, depuis l’acmé de crise qu'on a eu en 2020 jusqu'au début 2021, on a aujourd'hui une forme de pacification des relations. Cela a été marqué par exemple entre le président Macron et le président Erdoğan, qui dans les derniers mois ont paru entretenir des rapports sinon plus cordiaux, du moins beaucoup moins tendu beaucoup, moins agressif, que dans les années précédentes. On peut penser qu’au vu de la situation économique de la Turquie d'une part, d'autre part au vu de la guerre en Ukraine qui la met tout de même dans une posture à la fois de médiateur, mais aussi en posture de fragilité potentielle, on va observer pour le moment plutôt une poursuite de la politique de rapprochement avec les États européens, qui peut être remise en cause rapidement; mais, pour le moment, il n’y a pas de raison que ça change. La réélection d’ Erdoğan ne devrait pas l'amener à changer de cap dans l’immédiat.

Aurélien Denizeau, j’aimerais attirer votre attention, notamment après cette victoire d’Erdogan et le ralliement du candidat nationaliste Sinan Ogan lors du second tour : quel avenir pour les ressortissants syriens réfugiés en Turquie ?

C'est compliqué à déterminer, et en réalité, ça provoque aujourd'hui un débat, en particulier dans les cercles nationalistes en Turquie. En réalité, quand Sinan Ogan s'est rallié à Recep Tayyip Erdoğan, c'était quand même un peu étonnant, dans le sens où sur la question syrienne, Recep Tayyip Erdoğan était beaucoup moins favorable au renvoi des réfugiés syriens que son opposant Kılıçdaroğlu. D'ailleurs, lorsque Sinan Ogan s'est rallié à Erdoğan,  le principal parti qui le soutenait, le parti Zafer (ZP) s’en est immédiatement dissocié avant d’apporter son soutien à l’opposition. Sinan Ogan aurait obtenu des garanties de la part du leader de l’AKP sur le retour des réfugiés syriens; or, récemment, un porte parole du gouvernement et conseiller du président qui a fait un tweet en disant “qu’aucune promesse n’a été faite à Sinan Ogan sur cette question”. Meme au sein de ses partisans, certains commencent à se demander si leur leader n’aurait pas été le dindon de la farce dans cette histoire. Il dit qu’il compte sur la parole d’Erdoğan, que rien n’a été signé et aucun texte écrit n’a été fait. Alors, lui a-t-on promis autre chose à la place, comme la tete du Parti d’action nationaliste (MHP), dont le leader est vieillisant, sur le départ ? Un poste, d’autres contreparties ? Est-ce l’azerbaidjan ou la russien, deux pays dont il est proche, qui auraient fait pression pour qu’il soutienne Erdoğan ? Beaucoup de suppositions… Ce qui est certain c’est qu’il n’a pas eu de garantie écrite sur la question du retour des réfugiés syriens, et même si Recep Tayyip Erdoğan va probablement essayer d'entamer une politique de retour,  ne serait-ce que pour satisfaire une partie de son 'électorat, il n’y a rien qui le presse d'agir ainsi. Vous savez ce qu'on dit : les promesses n'engagent finalement que ceux qui y croient. 

C’est quoi concrètement un électeur moyen d'Erdoğan ?

Si on devait faire le portrait robot de l'électeur moyen de Recep Tayyip Erdoğan , ce serait un Turc anatolien, musulman, sunnite, alors quand je dis un anatolien, ça veut pas dire qu'il est né en Anatolie, il peut être né à Istanbul, dans des faubourg d'Istanbul, mais d'origine Anatolienne, donc élevé dans un milieu plutôt conservateur, un milieu plutôt traditionnel,  nationaliste, mais pas spécialement plus que le reste de la société turque, mais en revanche plus conservateur, attaché aussi à une forme de l'économie qui n'est pas du tout “marxisante”, mais plutôt, au contraire une forme de libéralisme puritain on pourrait dire. On a souvent comparé les nouvelles élites économiques qui soutiennent Erdoğan avec des le petit électorat protestant américain plus conservateur (les WASP, ou white anglo-saxons et protestant), globalement on est plutôt sur cette ligne, avec une évolution sur la forme sur la pratique ! C’est-à-dire que les jeunesses turques, les nouvelles générations turques sont de plus en plus sécularisés aujourd'hui, ce qui fait que même dans l'électorat de Recep Tayyip Erdoğan, les nouvelles générations vont le soutenir de plus en plus par nationalisme et conservatisme,  mais de moins en moins par attachement à l'islam politique en tant que tel. D’ailleurs, si vous regardez le résultat de sa coalition législative, c'est intéressant de voir que son parti accuse une baisse net, son parti donc issue de l'islam politique, au détriment de son allié nationaliste, qui lui connaît une augmentation ! 

Comment s’est comportée la jeunesse durant cette campagne présidentielle ?

Il existe des jeunesse turques ! Parce que, la jeunesse turque est composée de différentes strates sociales sociétales, et il n'existe pas vraiment de revendications communes à cet ensemble. Il y a une tendance qu'on observe globalement, c'est ce que je vous expliquais précédemment, à savoir la sécularisation de cette jeunesse turque, une forme de sécularisation. Par la suite, cette jeunesse va se définir, alors pas forcément sur des questions économiques, les turques ne se définissent pas vraiment sur les questions économiques ou de conditions de vie, mais sur sa vision du monde, et donc vous allez avoir une jeunesse qui va être : soit plutôt moderne, laïque, qui tient à continuer un mode de vie où l'on sort, on boit de l'alcool, les filles sont libres, sortent, ne se marient pas forcément, où vous avez voilà un mode de vie finalement assez proche de ce qu'on observe en Europe. Vous avez une jeunesse qui va être plus conservatrice, attachéé à la nation, attachée à certaines valeurs traditionnelles sans être forcément hyper pratiquante non plus ; vous allez avoir aussi la jeunesse kurde qui va demander plus d'autonomie, plus d'autonomie culturelle, plus de spécificité pour s'exprimer dans sa langue… Alors, évidemment, les revendications vont un peu varier selon les selon ces strates : par exemple, la jeunesse plus moderne, plus occidentalisée on va dire, va insister pour demander à demander une libéralisation du régime des visas pour pouvoir accéder davantage au pays de l'Union européenne. Cependant, il y a un point qu'il faut noter, c'est que si la jeunesse turque est plus sécularisée et plus moderne, elle n'est pas pour autant forcément, pro occidentale y compris la jeunesse qui est Kemaliste, moderne, laïcisée : cette jeunesse reste très nationaliste et très sceptique vis-à-vis aussi bien des États-Unis que de l'Union européenne ou d'ailleurs de la Russie ou d'autres grandes puissances voisines. 

Observe-t-on une sorte de Nostalgie de la puissance Ottomane traditionnelle, une omniprésence de certains symboles, ou je me fourvoie complètement ?

Cette nostalgie a existée, elle a existée et elle a portée d'ailleurs le mouvement de Recep Tayyip Erdoğan un moment, avec la nostalgie de la grandeur ottomane, dans une espèce d'inconscient collective que l'on retrouve, qui se double aujourd'hui d'une autre nostalgie chez la frange la plus sécularisée de la jeunesse, à savoir la nostalgie d'une époque Kemaliste. C’est une époque un peu fantasmée ou ils s'imaginent que toutes les filles se promenaient en mini-jupe un peu partout en Turquie, et qu'on passait son temps à boire de l'alcool, alors qu'en réalité la Turquie de l'époque était sociologiquement beaucoup plus conservatrice que celle d'aujourd'hui. Mais, et vous le voyez, il y a cette reconstruction de deux passés fantasmés : le passé ottoman et le passé Kemaliste, qui s'expriment. Toutefois la jeunesse turque actuelle et globalement la population turque n'est pas non plus dans le passéisme : on est quand même dans une dynamique typique de pays émergents, ou certes on a conscience d'avoir été une grande puissance autrefois, mais le but n'est pas tellement de reconstruire cette grande puissance que de s'appuyer sur ce passé glorieux pour devenir un état central dans les relations internationales du 21e siècle. 

L'avenir donc se construit auprès de cette jeunesse mais aussi auprès de l'ensemble de la population Turque. Quels vont être les prochaines priorités pour la Turquie lors du second semestre 2023 ? Quels devraient être les priorités ?

L'économie !  Recep Tayyip Erdoğan va pouvoir notamment prendre toutes les mesures d'austérité qu'il s'abstenait de prendre avant l'élection qui vont permettre, il l’espère, de redresser un petit peu son économie. Un corollaire de ce redressement économique nécessaire va être, bien sûr, de multiplier les partenariats à l'étranger ! C’est pour ça que je parlais plutôt de période de pacifications, car Recep Tayyip Erdoğan négocie beaucoup en ce moment par exemple avec les pays arabes, notamment les pays arabes du golfe; il veut garder de bonnes relations avec la Russie ; dans le même temps, il ne serait pas contre une intensification des échanges avec les Européens, donc il va y avoir clairement une forme d'activisme diplomatique pour permettre à la Turquie de souffler un petit peu, de respirer un petit peu, pour ça elle peut jouer notamment de son rôle dans le conflit ukrainien, qui lui permet d'avoir certaines exigences, d'avoir certaines demandes auprès des Européens et des Américains. Ce sont les deux grands dossiers qui vont probablement être développés :  l'économie et la politique étrangère, ça c'est pour le camp présidentiel. Par ailleurs, dans le champ politique turc global, il va probablement y avoir une grosse remise en question,  notamment de la part de l'opposition ! C’est toute la stratégie qui va être questionnée, c'est toute une recomposition des alliances que l'on peut observer, qui pourrait même conduire à terme à la création de nouveaux blocs d'alliance. La question est même de savoir si, à terme,  le bloc sur lequel Recep Tayyip Erdoğan s'appuie va y survivre. Le chef du parti nationaliste allié, le MHP, est vieillissant, il est donné malade… s'il venait à partir, est-ce que le parti nationaliste continuerait de soutenir Recep Tayyip Erdoğan, ou bien est-ce qu'il y aurait une nouvelle reconfiguration des alliances au Parlement ? Cet aspect la sera à voir,  alors, pas dans le semestre qui vient, mais dans les prochaines années de ce mandat ! 

Merci à vous monsieur Denizeau pour votre participation à cette émission ainsi que vos éclaircissements !