Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
Dans sa dernière revue, Confrontations Europe donne la parole à Jean-Louis De Brouwer, président de l’Institut Egmont dont l’article s’intitule : "Immigration, ne pas tomber dans le piège". Dans cette contribution, il questionne la centralité de l'immigration dans les débats politiques, notamment à l'approche des dernières élections européennes.
Il met en garde contre la manipulation de cette question par des forces populistes et nationalistes, qui en font un enjeu prioritaire alors que d'autres défis, comme les crises économiques, le changement climatique et la guerre en Ukraine, sont davantage au cœur des préoccupations des citoyens européens.
Pourquoi l'immigration est-elle souvent perçue comme un enjeu central lors des élections ?
L’immigration occupe une place disproportionnée dans les débats électoraux et médiatiques parce qu’elle est souvent instrumentalisée par les partis populistes, qui l’utilisent comme levier pour polariser l’opinion publique. Bien que d’autres enjeux, tels que les incertitudes économiques, le climat ou encore la sécurité, soient plus importants pour les électeurs, la migration reste un sujet qui déclenche des émotions fortes. C’est une question complexe, souvent simplifiée à l’extrême, ce qui la rend propice à devenir un symbole de tensions sociétales. En Europe, les récents scrutins ont montré que les partis nationalistes ont réussi à imposer ce sujet au cœur des campagnes, insistant bien souvent sur les migrations illégales, en dépit du fait que la majorité des migrations s’inscrivent dans des schémas légaux. Les caricatures qui sont faites dans les débats sur l’immigration n’aident pas à trouver des compromis et des solutions politiques efficaces pour mieux gérer les flux migratoires, cela donne une situation qui ne satisfait à la fin personne.
Comment l'Union européenne a-t-elle réagi face aux défis liés à l'immigration ?
Jean-Louis De Brouwer : L’Union européenne a adopté le Pacte sur l’asile et les migrations en décembre dernier, un cadre législatif visant à offrir une réponse plus coordonnée et efficace à la gestion des flux migratoires. Ce Pacte prévoit plusieurs mesures pour sécuriser les frontières extérieures de l'Union, accélérer le traitement des demandes de protection internationale, et répartir la responsabilité de l'accueil des migrants entre les États membres, notamment à travers des mécanismes de solidarité. Cela dit, ce paquet législatif est complexe et reste peu lisible pour le grand public. Sa mise en œuvre prendra du temps – environ deux ans – et nécessitera des moyens budgétaires conséquents, ainsi qu’une coopération accrue entre les institutions européennes et les États membres, ce qui s’est souvent révélé difficile par le passé. Malgré l’adoption de ce Pacte, le sentiment persiste que l’Union apporte une réponse technocratique à un problème sociétal, sans réellement répondre aux attentes des citoyens, particulièrement ceux des pays les plus affectés par les flux migratoires, ce qui participe à diviser les pays européens dans leur approche de la question migratoire.
Quels sont les principaux défis qui risquent de limiter l'efficacité du Pacte sur l'asile et les migrations ?
Le Pacte sur l’asile et les migrations, bien que présenté comme une avancée majeure, est confronté à de nombreux obstacles qui pourraient en limiter l’efficacité. D'abord, sa mise en œuvre nécessitera une restauration de la confiance entre les États membres, qui ont montré dans le passé des réticences à s'engager de manière solidaire sur la question migratoire. Les divergences politiques entre les pays, notamment sur la répartition des responsabilités, pourraient compliquer la mise en place du Pacte, comme le montre les récentes déclarations du chancelier Olaf Scholz qui souhaite rétablir le contrôle aux frontières allemandes. De plus, il repose sur des moyens financiers importants, et il est encore incertain que les États membres soient prêts à allouer les ressources nécessaires pour soutenir ces réformes. Il y a aussi des interrogations sur la compatibilité de certaines dispositions avec les droits fondamentaux, ce qui pourrait faire l'objet de contentieux juridiques. En somme, la réussite de ce Pacte dépendra de la capacité de l'Union à maintenir une cohésion entre les États membres et à garantir des moyens financiers et humains suffisants pour assurer son application dans les délais.
Quel est justement le piège dans lequel il ne faut pas tomber dans ces débats sur l’immigration ?
Il y a en réalité plusieurs pièges, le premier est de surestimer l’importance du sujet de l’immigration pour les électeurs, alors que les études montrent que c’est un sujet important, mais secondaire chez les européens. Le second piège est celui du “toujours plus”, c’est-à-dire de se laisser entraîner dans la surenchère avec des lois toujours plus restrictives alors que d’autres solutions plus constructives sont à chercher. Je pense par exemple à des accords » aux contours flous visant, sous couvert d’un partenariat multisectoriel alimenté par des transferts financier massifs, à assurer la coopération de ces pays tant dans la maîtrise d’une migration en transit sur leur territoire que dans la mise en œuvre d’une politique de retour, aux résultats plus que décevants.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.