Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
La question de la taxonomie européenne, et plus globalement de la finance durable, est au cœur des réflexions actuelles sur la transition écologique. Récemment, plusieurs auteurs de Confrontations Europe ont exploré ce sujet dans un article intitulé "Pour de nouvelles règles monétaires et budgétaires flexibles adossées à la taxonomie européenne". Cet article, signé par Dimitri Droit, Président et Co-fondateur d’Eco-Systémique, et Arthur Seitz, Chargé d’étude, met en avant l'idée d'utiliser la taxonomie comme base pour un nouveau cadre budgétaire et monétaire en Europe, à l’aune des défis climatiques.
Comment fonctionne la taxonomie européenne et quels sont ses objectifs concrets ?
La taxonomie vise à répondre à une question simple mais cruciale : comment s’assurer que les milliards d’euros investis chaque année dans l’économie européenne soutiennent véritablement des activités respectueuses de l’environnement ? Ce cadre joue un rôle central dans la lutte contre le greenwashing et cherche à établir des critères précis pour définir ce qui est réellement "vert".
La taxonomie européenne est un système de classification élaboré pour identifier les activités économiques qui peuvent être considérées comme durables. Son but est de fournir une base scientifique et technique solide pour déterminer quelles activités contribuent à atteindre les objectifs environnementaux fixés par l'Union européenne.
Le règlement de la taxonomie se concentre ainsi sur six objectifs environnementaux principaux : la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’adaptation au changement climatique, la gestion durable des ressources en eau, l’économie circulaire, la prévention et la réduction de la pollution, et enfin la protection de la biodiversité et des écosystèmes.
Pour qu’une activité soit éligible, elle doit contribuer de manière substantielle à l’un de ces objectifs sans causer de préjudice significatif aux autres. Par exemple, une entreprise investissant dans des infrastructures d’énergies renouvelables pourrait être incluse si elle respecte également des critères stricts en matière de biodiversité.
Existe-t'il des controverses ou débats autour de la taxonomie européenne ?
La taxonomie a suscité des débats autour de l'inclusion du gaz naturel et du nucléaire. Le gaz naturel, bien qu'émettant moins de CO2 que le charbon, reste une énergie fossile et donc une source d'émissions de gaz à effet de serre. Certains États membres, comme la Pologne et la Hongrie, ont insisté pour qu'il soit inclus en tant qu'énergie de transition. Ils considèrent que le gaz est nécessaire pour réduire progressivement la dépendance au charbon. D'autre part, la France a poussé pour l'inclusion du nucléaire, soutenant que cette source d’énergie est essentielle pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Le nucléaire est en effet une énergie bas-carbone, mais l’Allemagne était plus frileuse à son sujet. Ces deux énergies ont finalement bien été incluses. Ces débats soulèvent une question plus large : comment concilier des objectifs climatiques ambitieux avec les réalités énergétiques des différents États membres ? Alors que certains pays veulent accélérer la sortie des énergies fossiles, d'autres plaident pour une approche plus progressive, en tenant compte de leur mix énergétique actuel et de leurs besoins économiques.
Quels sont les avantages et les limites de la taxonomie pour les entreprises et les investisseurs européens ?
La taxonomie européenne constitue un cadre stratégique essentiel pour les entreprises et les investisseurs, facilitant ainsi la transition vers une économie durable. Pour les entreprises, elle représente une opportunité d'accéder à des financements verts, attirant les investisseurs désireux d’intégrer des activités durables dans leurs portefeuilles. Des institutions telles que la Banque Européenne d'Investissement offrent des lignes de financement spécifiquement destinées à ces projets conformes, tel que le programme de prêts pour l’énergie durable, qui soutient des projets d’énergie renouvelable, d’efficacité énergétique et de transports durables.
Pour autant, se conformer à la taxonomie peut engendrer des défis significatifs, notamment pour les PME. Celles-ci doivent souvent réajuster leurs processus opérationnels et leurs systèmes de reporting, ce qui peut entraîner des coûts supplémentaires.
Pour les investisseurs, la taxonomie fournit un cadre unifié qui diminue le risque de greenwashing. Elle établit un langage commun et des critères clairs, permettant une évaluation précise des opportunités d’investissement en garantissant leur conformité aux normes de durabilité.
Mais la taxonomie présente des limites notables : elle cible principalement les secteurs à forte émission de gaz à effet de serre, tels que l'énergie, le transport et la construction, tout en négligeant des domaines essentiels comme l’agriculture, la chimie et l'industrie textile. L'enjeu réside donc dans l'équilibre entre l'accessibilité pour les PME et la rigueur des critères, facteur déterminant pour son succès en tant qu’outil de transformation écologique.
Quel est l’avenir de la taxonomie dans le cadre des politiques climatiques européennes ?
La taxonomie fait partie d’une stratégie plus large de l’Union visant à aligner l'ensemble des politiques économiques sur les objectifs du Green Deal européen. Elle est complétée par d'autres initiatives telles que la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui renforce les obligations de reporting des entreprises sur leurs performances environnementales, sociales et de gouvernance.
L'un des enjeux pour l'avenir est l'élargissement des critères de la taxonomie à d'autres domaines, notamment les activités sociales et la biodiversité. De plus, la taxonomie jouera un rôle crucial dans l'attribution des financements européens, notamment via le mécanisme de transition juste, qui vise à soutenir les régions et les secteurs les plus touchés par la transition écologique.
Enfin, l'Union envisage également d’étendre l’application de la taxonomie aux marchés extérieurs. En définissant des normes internationales en matière de finance durable, elle pourrait influencer les règles du jeu globales et renforcer au passage son leadership dans la lutte contre le changement climatique.
Une interview de Laurence Aubron.