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Du plan Juncker aux avoirs russes : les moyens de financer la souveraineté européenne

© European People's Party - Wikimedia Commons Du plan Juncker aux avoirs russes : les moyens de financer la souveraineté européenne
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Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.

Laurent Zylberberg, Secrétaire général de Confrontations Europe, a partagé un article intitulé “Du plan Juncker aux avoirs russes : les moyens de financer la souveraineté européenne”, dans laquelle il revient sur l’opportunité d’utiliser les avoirs gelés russes pour financer la souveraineté européenne.  

En quoi consisteait le Plan Juncker ?

Le Plan Juncker est une initiative lancée en 2015 par Jean-Claude Juncker, ancien Président de la Commission européenne (2014-2019), visant à créer le Fonds Européen pour les Investissements Stratégiques (FEIS) afin de financer les projets les plus prometteurs au sein de l’Union européenne.

À l’origine, le FEIS disposait d’une garantie de 21 milliards d’euros, composé d’un fonds de garantie de 16 milliards d’euros issu du budget de l’UE et d’une contribution de 5 milliards de la Banque européenne d’investissement (BEI). Grâce à cet effet de levier, la BEI a pu lever 42 milliards d’euros sur les marchés obligataires.

Par ailleurs, en mobilisant divers financements sous forme de dette et de fonds propres, le Plan Juncker a permis d’atteindre un total de 315 milliards d’euros d’investissement dédiés aux projets stratégiques majeurs. En 2018, l’initiative a atteint son objectif de 500 milliards d’euros levés, consacrant ainsi le succès de ce mécanisme financier.

Désormais, quels peuvent être les nouveaux moyens financiers pour répondre au besoin d’investissement en Europe ?

Dans la logique du Plan Juncker, les avoirs russes gelés pourraient constituer un nouveau levier financier. Aujourd’hui, la valeur totale de ces actifs bloqués dans les banques européennes dépasse 300 milliards d’euros, dont plus de 200 milliards directement issus de l’État russe. Ces avoirs génèrent entre 2 et 3 milliards d’euros d’intérêts par an, dont seul 1 milliard a, pour l’instant, été mobilisé pour financer des instruments de l’Union en faveur de l’Ukraine. Or, ces montants restent largement insuffisants face aux besoins colossaux des industries de défense européennes, estimés à plusieurs centaines de milliards d’euros pour la prochaine décennie.

Dans ce contexte, il serait pertinent d’envisager que tout ou partie des intérêts générés par ces avoirs soient convertis en fonds propres destinés aux industries de défense, qui ne peuvent actuellement pas lever de capitaux sur les marchés financiers.

Faudrait-il confisquer les avoirs russes et comment s’y prendre tout en respectant le droit international ?

Le débat sur la confiscation des avoirs russes est complexe et soulève des choix politiques majeurs. Toutefois, une possibilité d’utilisation pourrait être mise en œuvre rapidement, en reportant à plus tard les questions juridiques. Ces avoirs pourraient servir de garantie pour divers produits financiers destinés à financer la défense et la souveraineté européenne.

Il est également essentiel de s’interroger sur les mécanismes de garantie de ces nouveaux outils financiers afin de ne pas alourdir leur coût. Par exemple, les Banques et Institutions Financières Publiques Nationales (NPBIs), qui gèrent une l’épargne abondante à l’échelle européenne, pourraient bénéficier d’une garantie partielle adossée à ces avoirs pour les fonds alloués à cet usage.

Ainsi, le coût du capital mobilisé serait considérablement réduit grâce à cette garantie. De plus, comme une garantie n’est activée qu'après un certain délai, le montant des avoirs russes resterait inchangé et continuerait à générer des intérêts.

Comment de tels mécanismes de financement seraient-ils coordonnés lors de leur mise en application ?

Pour que ces mécanismes de financement fonctionnent efficacement, une gouvernance crédible et solide est essentielle. Nous pourrions mettre en place une instance de gouvernance réunissant à la fois des acteurs financiers, tels que la BEI et les NPBIs, ainsi que des représentants politiques des gouvernements et de la Commission européenne.

Cet organe de gouvernance aurait pour mission de définir avec précision la thèse d’investissement et les secteurs prioritaires en matière de déficit. Il reviendrait ensuite à un comité dédié et indépendant, à l’image des comités d’investissement des sociétés de gestion, de prendre des décisions finales sur les projets à financer.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.