À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L'État de droit est fondamental pour l'identité européenne, mais on dirait que chacun·e l’accommode à sa sauce, en fonction de ses intérêts nationaux.
C’est exactement ce qui se passe. On se trouve face à un concept énormément débattu et développé depuis des siècles parce qu’il pose toujours l’épineuse question de la hiérarchie des normes.
On a donc des États qui refusent qu’un droit leur soit supérieur ?
C'est le message politique qu’on retrouve chez les représentant·es politiques europhobes. Mais dans les faits, c’est plus subtil que cela : cela signifie que certaines mouvances politiques refusent de se conformer à des législations qui ne leur conviennent pas.
Mais s’ils ne se conforment pas que se passe-t-il ?
Cela dépend où et comment leurs ordres juridiques sont engagés. En d’autres termes, quels traités internationaux ils ont ratifié. Voyez l’EuroPride de Belgrade. Si la Serbie a ratifié la Convention européenne des droits de l’Homme et son droit fondamental à manifester, tout·e organisateur·rice de manifestation peut l’invoquer devant son juge national.
Si le juge national refuse cette hiérarchie des normes, le/la citoyen·ne peut aller, en dernier recours, vers la Cour européenne des droits de l'Homme de Strasbourg et voir son État condamné pour cela à l’issue d’une décision de justice qui expliquera en quoi consiste le droit à manifester.
C’est toujours du cas par cas alors ?
Chaque interprétation peut être discutée, c’est le symbole de la balance de la justice, chacun·e va poser ses arguments d’un côté ou de l’autre de la balance.
Ici on avait d’un côté les organisateur·rices de l’EuroPride invoquant leur droit fondamental à manifester. De l’autre une classe politique invoquant son obligation de garantir la sécurité dans l’espace public. Les organisateur·rices ont maintenu car elles/ils savaient que devant la justice elles/ils auraient raison : leur droit est supérieur à une hypothèse de trouble à la sécurité. Parce que finalement, à l’occasion de cette EuroPride, la police a enregistré infiniment moins de violence que pendant un match de football.
Cette actualité de l'EuroPride est-elle une victoire de l’État de droit ?
Exactement, deux droits ont été mis en balance, celles et ceux qui promeuvent le droit de manifester ont été meilleur·es dans leurs démonstrations que celles et ceux qui craignaient un trouble à la sécurité dans l’espace public.
Merci Élise, à la semaine prochaine !
Interview réalisée par Laurence Aubron.