L'édito européen de Quentin Dickinson

La liaison ferroviaire entre LYON et TURIN

La liaison ferroviaire entre LYON et TURIN

Cette semaine, vous tenez à revenir sur la liaison ferroviaire entre LYON et TURIN, c’est bien cela ?

Après une succession de retards techniques et – surtout – administratifs et politiques, on pensait cet impressionnant projet européen lancé et (si l’on peut dire) sur les rails, pour une mise en service en 2032.

Mais, depuis peu, l’on assiste à la résurgence d’une certaine contestation de son bien-fondé ; alors, essayons d’y voir plus clair.

En effet, donc : de quoi s’agit-il ?

Il s’agit de relier par le rail deux importants pôles économiques, l’un en France, l’autre en Italie et, de part et d’autre, le sud-ouest de l’Europe dans la péninsule ibérique et l’est de notre continent en Hongrie, en Roumanie, et, le jour venu, en Ukraine.

Au début de leur action, les opposants évoquaient un TGV sous les Alpes, comprenez : un moyen commode pour les hommes d’affaires et les touristes nantis de gagner du temps. Le passage de tous types de convois sera évidemment possible, mais le projet ne se justifie pas prioritairement pour les trains de voyageurs. Car il s’agit essentiellement de fluidifier et de réduire l’empreinte carbone du transport de marchandises dans l’écosystème délicat du massif alpin, ce que seul permet le rail.

Aujourd’hui, les échanges annuels entre la France et l’Italie atteignent environ 47 millions de tonnes, ou, pour parler clair : le transit de trois millions de poids-lourds.

Le rail ne sert que pour un peu moins de 9 % de ces échanges.

Comment, justement, expliquer ce faible recours au rail ?

Simplement, par la vétusté et le caractère malcommode de la liaison actuelle. Côté français, les camions sont obligés de grimper à 1.300 mètres d’altitude, en traversant des dizaines de villages, pour parvenir au lieu de chargement sur des wagons bas. Ensuite, la rampe est telle qu’un convoi complet exige deux locomotives en tête et une troisième en pousse. Le passage en Italie s’effectue par le tunnel international actuel, suivi de la descente dans le Piémont par la Vallée de SUSE.

Mais est-ce qu’il n’aurait pas été plus simple de moderniser le tunnel existant, comme l’ont réclamé certains opposants ?

Non, d’abord parce que cela ne supprimerait pas les nuisances pour les riverains – déjà très éprouvés - sur les routes d’accès en altitude, et ensuite, parce ce tunnel a été inauguré en 1871, qu’il est à voie unique, et que le seul fait de le mettre à double-voie et aux normes de sécurité actuelles supposerait un chantier colossal et durablement périlleux pour l’environnement.

Donc, le tunnel en cours de construction est au niveau de la plaine, ce qui, soit dit en passant, permet une consommation d’électricité par les locomotives bien moindre.

Mais ce tunnel, qui sera (de peu) le plus long du monde à sa mise en service, n’est qu’une partie du projet…

Vous avez raison : sans les voies d’approche, capables de supporter un trafic ferroviaire lourd et fréquent, sans les zones de transbordement des poids-lourds dans les banlieues de LYON et de TURIN, cet ouvrage ne servirait pas à grand’chose. Et c’est là que l’on perd actuellement du temps, entre Français, pour savoir comment répartir la charge budgétaire entre l’État et les collectivités locales et régionale. Ceci ne manque pas d’agacer, ici à BRUXELLES, et pour cause : c’est la Commission européenne qui paie la moitié du coût total de l’ensemble du projet. On notera que les Italiens, de leur côté, ont évité semblables (et embarrassantes) tergiversations et, partis plus tard, mettent actuellement les bouchées doubles pour tenir dans les délais leur partie du projet.

Mais comment des militants qui se réclament de l’écologie et du respect de l’environnement peuvent-ils justifier de s’opposer à cette infrastructure ?

Il y a d’abord ceux qui soulignent le coût du projet ; ce ne sont pas vraiment des écologistes, mais plutôt des défenseurs d’autres causes qui souhaiteraient que l’argent aille à celles-ci plutôt qu’au tunnel. Ensuite, il y a ceux qui s’effraient des dégâts à l’environnement immédiat provoqués par le chantier, pendant la durée de celui-ci. Or, la réglementation encadrant la remise en état d’un site à l’issue de travaux est à la fois explicite et contraignante ; l’impact en sera donc limité dans le temps.

Il y a aussi le dernier carré des vrais opposants, qui se situent au-delà des motivations des autres et qui, partisans de la décroissance, dénoncent - au besoin par des actions violentes – tout ce qui pourrait contribuer au développement économique, dont la liaison ferroviaire LYON-TURIN. Curieusement, leur raisonnement contribue à valider l’utilité du projet. Mais, pour eux, c’est une simple question de choix de société.

Enfin, on rappellera pour mémoire l’opposition au projet, à PARIS, des états-majors de La France Insoumise et d’Europe-Écologie-Les-Verts, alors que, sur place en Auvergne–Rhône-Alpes, leurs militants y sont maintenant favorables.

On entend aussi des voix qui s’élèvent pour souligner que le projet du LYON-TURIN est tellement vieux qu’il ne correspondrait plus aux réalités et besoins actuels …

C’est l’argument, qu’on peut d’ailleurs entendre, qui avait servi à faire enterrer l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes en Loire-atlantique. Les deux projets n’ont cependant rien en commun.

Et n’oublions pas que tout grand projet d’infrastructure prend toujours un temps certain à se définir, à se faire accepter, à se faire financer, avant même de donner le premier coup de pioche. Songez que le Tunnel sous la Manche été inauguré en 1994, c’est-à-dire cent-dix-neuf ans après la décision du gouvernement britannique d’entamer des études préliminaires.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.