L'édito européen de Quentin Dickinson

La Hongrie de Viktor ORBÁN s’oppose aux sanctions contre la Russie - Quentin Dickinson

La Hongrie de Viktor ORBÁN s’oppose aux sanctions contre la Russie - Quentin Dickinson

Cette semaine, on vous dit de bien méchante humeur, vous confirmez ?

Je confirme pleinement, vous l’allez voir. Mais d’abord, un rappel du régime de sanctions imposé par l’Union européenne à la Russie. Ces sanctions doivent être renouvelées tous les six mois, faute de quoi, elles deviennent caduques. Compte tenu que la Guerre d’Ukraine paraît devoir s’éterniser, la majorité des vingt-sept pays-membres de l’UE souhaitent porter à douze mois cette durée de validité. Or, un seul pays s’y oppose bec et ongle : c’est la Hongrie de Viktor ORBÁN.

Les sanctions européennes comprennent notamment une liste noire d’environ 1.400 individus. Ceux-ci sont des responsables politiques, administratifs, militaires russes, ainsi que leurs complices d’autres nationalités, sans oublier les grands profiteurs du régime kleptocratique de M. POUTINE que sont les oligarques. Après avoir obtenu à l’arraché le retrait de la liste du très poutinophile (et ancien agent du KGB), le Patriarche Kyril, chef de l'Église orthodoxe russe, un seul pays réclame aujourd’hui que quatre autres personnes en soient à leur tour retirées : c’est la Hongrie de Viktor ORBÁN.

Sur proposition de la Pologne et des trois Baltes, l’UE s’apprêtait à élargir la liste noire aux membres des familles de dirigeants russes et de leurs acolytes, dont l’ex-Madame POUTINE, confortablement installée avec un jeune homme dans une vaste villa au Pays basque français. Un seul pays s’y est opposé : c’est la Hongrie de Viktor ORBÁN.

Mais pourquoi ? Et qu’est-ce que la Hongrie a de si particulier pour s’opposer aussi systématiquement à ses partenaires de l’UE ?

Tactiquement, cela se comprend : la prolongation de la validité des sanctions priverait plus longuement M. ORBÁN du levier du chantage au veto, car si satisfaction ne lui est pas donnée sur un détail, juridiquement c’est l’ensemble des sanctions qui s’écroule.

Mais l’explication est ailleurs, et ne date pas du début de l’invasion russe en Ukraine. Totalisant seize années comme Premier ministre, M. ORBÁN a patiemment tissé sa toile : la mise au pas de la magistrature, l’extinction des médias indépendants, les ressources économiques aux mains de membres de sa famille et d’affidés, la mise en cause de l’Union européenne, accusée de vouloir noyer la Hongrie sous les réfugiés – tout cela au nom d’une idéologie sur-mesure baptisée Illibéralisme, dénomination opaque et ambigüe à souhait. On ajoutera aux griefs des Européens cette campagne de distribution de passeports hongrois aux populations de langue hongroise dans les pays voisins (dont cinq sont membres de l’UE), dans la perspective, quelque peu poutinienne, d’une reconstitution de la Grande-Hongrie.

Mais les institutions européennes et les vingt-six autres pays-membres ne réagissent pas à cette provocation permanente ?

L’épisode, difficilement cicatrisé, du Brexit est là pour montrer à quel point il est difficile de raisonner celui qui dispose des mêmes pouvoirs que les autres, alors que les traités européens n’ont pas prévu le cas de la mauvaise foi assumée d’un des États-membres.

Bien sûr, M. ORBÁN ne s’oppose pas à percevoir les aides financières européennes, qu’il a longtemps utilisées à sa guise – notamment pour construire une ligne de chemin de fer qui ne dessert que son village natal. Mais si la création récente du Parquet général européen tend à limiter la tentation de ce genre de détournement d’objectifs et de fonds, la Commission européenne hésite à formaliser l’évidence, c’est-à-dire qu’on se moque d’elle (et avec fierté) ; le Conseil européen, où siègent les dirigeants des pays-membres, hésite à suspendre le droit de vote de la Hongrie ; et seul le Parlement européen dénonce régulièrement – et sans effet – l’arrogante impunité de ce véritable ennemi de l’intérieur.

Et tout cela peut durer sans limitation dans le temps ?

Non. Nous approchons du moment de vérité. Le 1er juillet 2024, la présidence tournante du Conseil des ministres de l’UE revient pendant six mois à la Hongrie.

D’ici-là, la question qu’il faudra avoir le courage de trancher, c’est d’accepter ou non d’avoir un très autoritaire saboteur et maître-chanteur à la tête de l’instance décisionnaire de l’Union européenne.

L'équipe

Entretien réalisé par Laurence Aubron.