L'édito européen de Quentin Dickinson

Quentin, candidat ?

Élections européennes : conseils pour les candidats Quentin, candidat ?
Élections européennes : conseils pour les candidats

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

Ce matin, j’ai une question un peu personnelle pour vous, QD : vous avez une longue expérience des institutions européennes, alors êtes-vous candidat aux élections européennes ?...

C’est aimable de votre part de me le proposer. Votre préambule est fondé, je le confirme : en plus de trente ans, j’ai dû suivre environ deux cents sessions plénières du Parlement européen à STRASBOURG, ainsi qu’un nombre supérieur à celui-là de réunions de différentes commissions parlementaires à BRUXELLES. En gros, je connais à peu près toutes les procédures et ficelles de la vie parlementaire européenne, et j’ai vu défiler des générations entières d’eurodéputés et de fonctionnaires de l’institution.

Mais est-ce que cela ferait de moi un bon député européen ? Rien n’est moins sûr. Prenez le cas de nos confrères, journalistes spécialistes des sports : ils décrivent admirablement des exploits sportifs qu’ils sont eux-mêmes parfaitement incapables d’égaler. Savoir réciter de mémoire la composition de l’équipe des Canaris de NANTES lors de leur victoire en Coupe de France de Football en 1979 ne prédispose en rien à devenir leur entraîneur ces jours-ci.

Admettons. Mais vous auriez tout-de-même quelques conseils à prodiguer aux candidats ?

Si vous insistez, alors allons-y. Chronologiquement, la première précaution, c’est de bien choisir vos collaborateurs parlementaires. Pour cela, il vous faut déjà vous documenter discrètement pendant la campagne sur les éventuelles disponibilités et jeux de chaises musicales.

Pas question de vous laisser refiler le jeune cousin de l’un ni l’ex-copine de l’autre. Il vous en faut deux, tous deux vieux routiers du Parlement, plus un stagiaire débutant, hyper-diplômé et motivé. Vous pouvez aussi avoir un attaché parlementaire dans votre région d’origine, même si les élections sont actuellement organisées sur la base d’une circonscription nationale unique.

Bon, vous voilà installé. Que faut-il faire et ne pas faire ?...

La bonne règle, c’est surtout de ne pas se disperser – on est harcelé quotidiennement par les tentations et distractions de tout ordre, en particulier par d’autres élus qui viennent quémander une signature pour leur indispensable amendement ou pour une participation à leur incontournable table-ronde.

Il faut se dire qu’on a cinq années devant soi, et que c’est peu pour faire aboutir un projet législatif. Donc, il faut s’attacher à deux idées, pas plus. Allez, je vous en suggère une : s’agissant du tri sélectif des ménages, on pourrait instaurer l’unification paneuropéenne des catégories de déchets et des couleurs de référence des sacs-poubelle et des conteneurs. Avantage : fin du chaos au moins deux fois par an dans les lieux de villégiature touristique. Autre avantage : favoriser l’essor d’une industrie du recyclage à l’échelle du continent, alors qu’aujourd’hui le travail se fait en petites unités locales.

Vous disiez qu’il fallait se fixer deux objectifs – en avez-vous un second dans la manche ?...

Volontiers. Le retour à grande échelle de la bicyclette, assistée électriquement ou non, et le grand nombre de trottinettes et de mono-roues électriques dans la circulation urbaine accroissent de façon particulièrement inquiétante l’incidence d’accidents corporels, dus en grande partie à l’indiscipline - tolérée - des cyclistes. Une loi européenne pourrait imposer des normes minimum de visibilité de jour comme de nuit, notamment par l’éclairage et les matières réfléchissantes, comme par le port obligatoire du casque et d’un gilet jaune ou orange. Des campagnes de sensibilisation à la sécurité vélocipédique pourraient être cofinancées par la Commission européenne.

Voilà donc un autre exemple de chantier utile et grand-public.

D’autres préceptes que vous recommanderiez ?...

La plus élémentaire prudence impose de tenir un agenda précis des rencontres avec des tiers, lobbyistes, ONG, ou connaissances personnelles. De même, les contacts professionnels doivent en règle générale se tenir à l’intérieur des emprises du Parlement. Enfin, on serait bien inspiré de refuser tout cadeau d’une valeur supérieure à 200 Euros et de tenir à jour un registre des dons acceptés.

Évidemment, tout cela ne sert à rien au quotidien, mais l’on n’est jamais à l’abri d’une opération téléguidée de type transparence-et-mains-propres ; le jour venu, on pourra se féliciter d’avoir pris ses précautions.

Mais a-t-on le temps d’aller à la rencontre des citoyens pour leur parler d’Europe et du travail que l’on fait ?...

La disparition en 2019 des circonscriptions régionales a détendu le lien entre l’élu et l’électeur ; il faut donc s’activer pour le retour à des circonscriptions régionales, mais cette fois-ci calquées géographiquement sur nos nouvelles grandes régions.

En attendant, l’élu européen doit éviter de se prendre pour un arbitre des élégances en matière de politique nationale, voire pour un philosophe de plateau de télévision. C’est du temps perdu et il n’y a que des coups à prendre.

En revanche, je crois beaucoup à l’efficacité des invitations à lancer à des groupes scolaires, ou d’étudiants, ou de citoyens de tous les groupes d’âge, à venir visiter les locaux du Parlement européen. L’élu s’arrange pour déjeuner avec eux et à répondre aimablement et avec simplicité à toutes leurs questions.

Et les rapports avec les journalistes ?...

Une seule règle : sollicité par les médias, l’élu ne doit pas perdre une minute avant de rappeler ou de recevoir son interlocuteur - sans demander l’autorisation de quiconque. Le retardataire s’en sort toujours mal. Il convient de toujours bien retracer les tenants et les aboutissants du dossier qui intéresse le journaliste – en dépit de l’assurance affichée, il ne connaît peut-être pas complètement le sujet.

Alors, QD, je repose la question : candidat ou pas candidat ?...

Mettez-vous un instant à ma place : politiquement, je suis trop insoumis pour les Insoumis et trop patriote pour les Nationalistes ; et j’ajoute que je ne sais pas où a disparu l’extrême-centre.

Et puis, vous le savez comme moi : un journaliste, c’est garanti ingérable et irresponsable – alors, dans ces conditions…

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.