L'édito européen de Quentin Dickinson

Les prémices d’une offensive russe ? - Quentin Dickinson

Les prémices d’une offensive russe ? - Quentin Dickinson

Depuis plusieurs semaines, différentes sources occidentales évoquent les prémices d’une grande offensive des forces russes. Est-ce que cela vous paraît vraisemblable ?

Sur les ‘différentes sources occidentales’, d’abord, il convient d’être circonspect : entre celles qui savent, mais qui s’en tiennent aux messages de leur gouvernement, et celles qui ne savent pas, mais entendent néanmoins briller sur les plateaux de télévision et sur les réseaux sociaux, il ne reste pas grand’monde de fiable.

Alors, selon vous, offensive russe ou pas offensive russe ?

Pour faire court, je n’en sais rien. Comme tous les observateurs, je note chaque jour les mouvements des forces en Ukraine, en Russie, en Biélorussie, en Mer Noire et en Mer d’Azov. Nous savons où elles se trouvent – mais nous ne connaissons jamais l’utilisation que le Kremlin a l’intention d’en faire. Et nous ne pouvons que rarement distinguer l’intention réelle des activités destinées à nous tromper.

Mais nous avons cependant un avantage, c’est de savoir comment se déroulera toute offensive russe d’envergure.

Comment cela ?

C’est tout simplement parce que la doctrine militaire russe n’a pas changé depuis quatre siècles. Elle repose sur l’effet de masse, le Rouleau compresseur russe bien connu. C’est l’exploitation de la démographie – les Russes répètent volontiers qu’ils sont ‘très nombreux’ – et d’un désintérêt total pour le sort de leurs propres soldats.

Mais cette doctrine est assortie d’une autre caractéristique : c’est celle des Deux fronts. En clair, chez les Russes, il y a toujours un lieu d’offensive principal et un autre, secondaire et distant. On a pu observer que souvent, le secondaire devient principal, histoire de mettre en difficulté l’adversaire, qui ne sait plus exactement où positionner au mieux ses forces, presque toujours inférieures en nombre à celles des Russes.

Et appliquée à la situation d’aujourd’hui, cela donne quoi ?

On voit depuis peu des concentrations de troupes et de matériel russes en Biélorussie. La possibilité existe donc que le Kremlin tente à nouveau une offensive du nord et du nord-est vers KYEV.

Raisonnons, non comme les généraux russes, mais comme leur dirigeant suprême, M. POUTINE. Il a besoin d’une victoire incontestable, ce que les quelques kilomètres carrés grignotés dernièrement autour de BAKHMOUT ne sauraient constituer. Alors l’idée de l’offensive au départ de la Biélorussie peut le séduire.

Donc c’est à cela qu’il faut s’attendre au printemps ?

Non, pas nécessairement. Vu par les militaires, il n’y a pratiquement pas d’endroit plus mal choisi pour repartir à l’attaque terrestre que ces 891 kilomètres de frontière biélorusso-ukrainienne. Il s’agit de terrains au relief tourmenté, occupés par de nombreuses et profondes forêts, et parcourus par des réseaux de cours d’eau aux bras et aux étangs innombrables.

De surcroît, le long de la ligne de démarcation, les Ukrainiens ont édifié un mur de béton, surmonté de rouleaux de fil de fer en rasoir, derrière lequel se trouve un profond fossé inondé, lui-même prolongé par un colossal champ de mines, à la sortie duquel se trouvent d’importantes positions d’artillerie. On peut rêver mieux comme comité d’accueil.

On comprend la difficulté. Alors, que peuvent faire les Russes ?

Souvenez-vous : il y a toujours deux fronts. Et, si c’est l’hypothèse biélorusse qui constitue le front principal, où se situerait alors le front secondaire ?

On a vite fait le tour des possibilités : les trois pays baltes, la Pologne, la Roumanie sont tous membres de l’OTAN et de l’Union européenne – mieux vaut ne pas aller les chatouiller, M. POUTINE et ses généraux le savent.

Alors, reste la petite Moldavie, coincée entre l’Ukraine et la Roumanie, et amputée déjà d’une partie de son territoire par un régime fantoche à la botte de la Russie, qui y a déployé environ 1.500 militaires.

On ajoutera que la Transnistrie, nom dont s’est affublé ce territoire sécessionniste, abrite les hangars de COBASNA, le dépôt de munitions le plus important d’Europe orientale, créé à l’aube de la Guerre froide. S’y trouvent entreposées, dans de mauvaises conditions de sécurité, environ 20.000 tonnes d’explosifs conventionnels. Un accident est toujours possible, et la déflagration de l’ensemble produirait, dit-on, un effet de souffle supérieur à celui de la bombe nucléaire lâchée sur HIROSHIMA.

Et détecte-t-on déjà en Moldavie des signes avant-coureurs d’une attaque russe ?

Peut-être. Des missiles russes destinés à l’Ukraine passent de temps à autre dans l’espace aérien moldave. Deux individus, décrits comme agents provocateurs russes, ont été arrêtés. De plus, le pays est en proie à une crise politique, qui a provoqué la récente démission de sa Première ministre, succédée par le conseiller Défense de la Présidente, Mme Maïa SANDU, pro-européenne comme la démissionnaire.

Alors, votre pronostic ?

Pour les militaires russes, la Moldavie est la cible la plus facile. Mais – faut-il le rappeler – au Kremlin, ce n’est pas un militaire qui décide.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.