Ici, à EURADIO, il est écrit que nous n’échapperons pas à la vague de commentaires sur l’attribution à l’Ukraine, par un nombre important de pays européens et d’Amérique du Nord, de chars d’assaut. Alors, allons-y, …
Comme à chaque fois qu’il s’agit de traiter d’affaires militaires, chacun s’improvise spécialiste, et les plateaux de télévision sont envahis de commentateurs aux avis nécessairement définitifs. Et comme toujours, il est proclamé un nombre non-négligeable de bêtises.
Tentons d’y voir plus clair. D’abord, qu’est-ce c’est qu’un char d’assaut ?
C’est un engin à chenilles, il est lourd (entre 55 et 75 tonnes à vide, selon ceux dont on parle le plus, actuellement) et il dépasse rarement les 70 kilomètres-heure sur terrain plat non-spongieux. L’équipage est de trois ou de quatre personnes, selon si le chargement des munitions se fait automatiquement ou manuellement.
Autre question : est-ce que tout chenillé est un char d’assaut ?
Non. Il peut s’agir d’une variété d’autres véhicules, comme ceux destinés à la reconnaissance, au transport de troupes, ou à l’évacuation de blessés, sans oublier les dépanneuses de chars.
Est-ce qu’un engin à roues peut être un char ?
Non, même s’il peut être armé d’un canon comparable à celui d’un char, comme c’est le cas de l’AMX 10 RC que la France destine à l’Ukraine.
Enfin, à quoi sert un char d’assaut ?
Il sert à briser les défenses de l’ennemi en concentrant sur une ligne de front relativement étroite un déluge de feu, afin de permettre une percée en profondeur de l’infanterie. Même si son canon peut atteindre des cibles distantes de plusieurs kilomètres, son rôle n’est pas celui de l’artillerie, avec laquelle il agit en étroite coordination.
Venons-en maintenant à l’actualité : quels engins les Ukrainiens vont-ils recevoir ?
Le plus répandu sera certainement le Leopard 2 allemand, simplement parce que c’est le char le mieux vendu en Europe : quatorze pays de l’UE ou de l’OTAN en possèdent ensemble plus de deux mille.
A grand renfort d’autopromotion, les Britanniques envoient quatorze Challenger 2 ; et les Américains, trente-et-un M1 Abrams. Ces deux pays devraient accroître leurs livraisons dans un second temps.
Enfin, la Corée du Sud propose son K2 (nom de code : Panthère noire) qui a également bonne réputation.
Est-ce que tous ces engins cohabiteront facilement ?
Non, absolument pas. Si les Leopards et les Abrams utilisent les mêmes obus à la norme OTAN de 120 mm (c’est leur diamètre), le Challenger, lui, tire bien des munitions du même calibre, mais pas les mêmes, vu que l’intérieur de son canon est rayé (celui des autres est lisse) ; de plus, ses obus ne sont pas conçus pour percer le blindage adverse, mais pour provoquer une très forte vibration, généralement fatale pour l’équipage.
Il faut donc prévoir des lignes d’approvisionnement distinctes. De surcroit, le matériel d’origine soviétique dont les Ukrainiens sont dotés tire du 125 mm, donc encore une autre norme. De même, si la plupart des chars roulent au diésel, les Abrams sont mus par une turbine à gaz – ici aussi, des filières distinctes d’alimentation en carburant sont obligatoires, et à grande échelle, en raison de la consommation très élevée de ces engins.
Est-ce que les équipages ukrainiens pourront passer sans problème d’un type de char occidental à un autre ?
Non. Les tankistes ukrainiens sont certes particulièrement compétents, motivés, et aguerris, puisqu’ils sont en action permanente depuis 2014. Mais il faudra compter deux à trois mois de formation en Pologne pour qu’ils prennent en main ces matériels, techniquement bien plus avancés que les chars soviétiques dont ils ont l’habitude. Et, pour des raisons d’efficacité, il est exclu qu’ils soient habilités à monter plusieurs types occidentaux différents.
On dit que les Russes possèdent dix mille chars, le Président ZELENSKY réclame à ses alliés trois cents engins – est-ce que les engagements pris par les Occidentaux ne sont pas purement symboliques ?
Non. D’abord, les dix mille chars russes – pour autant qu’ils existent autrement que sur le papier – sont stockés dans des conditions épouvantables et sans entretien, quand ils ne sont pas tout bonnement laissés en plein air à la merci des éléments. Il est donc malaisé d’estimer le nombre de chars, toutes générations confondues, dont la Russie peut effectivement disposer à l’heure actuelle.
Mais vous avez raison de penser que la décision de débloquer les chars occidentaux est avant tout politique, d’autant que ces matériels ne seront pas encore opérationnels en temps utile pour l’offensive de printemps que préparent les Ukrainiens. Ce n’est que vers la fin de cette année – au mieux – que pourront être rassemblés la totalité du parc de chars occidentaux.
Leur action ne sera pas en soi décisive, mais elle permettra de rééquilibrer les forces en présence à l’avantage des Ukrainiens – si ceux-ci ne pêchent pas par excès de confiance dans leurs nouveaux engins, une erreur qui a toujours des conséquences mortelles.
Peut-on entrevoir une issue militaire au conflit ?
Impossible d’en être certain. Sur le terrain, l’affrontement se déroule, d’une part, entre des militaires ukrainiens qui défendent leur territoire, qu’ils connaissent bien, à l’aide d’un nombre limité d’armes très efficaces venues d’Occident, et, d’autre part, une soldatesque russe très nombreuse mais peu motivée et sous-équipée, appuyée par leurs mercenaires, et disposant de stocks énormes de matériel de guerre peu sophistiqué et mal entretenu.
On a longtemps pensé que le temps, la durée, jouait en faveur des Russes ; aujourd’hui, ce n’est plus vrai. Et l’espoir a changé de camp.
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.