Cette semaine, vous voulez nous parler de l’avenir de notre continent…
On n’en finit pas de découvrir les réactions en chaîne que provoque l’invasion russe en Ukraine. Prenez, par exemple, l’éternel débat qui passionne depuis des décennies les distingués penseurs, penchés sur la question de l’étendue géographique maximum et définitive de l’Union européenne. Eh bien, ce débat n’a plus lieu d’être, puisque maintenant, on sait.
Comment cela ?
Parce que les élucubrations sur quel pays serait qualifié pour rejoindre l’UE, et quel autre ne le serait pas ou le serait moins, c’est terminé, de même que la chimère d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural, qui peut se comprendre comme référence géographique, mais aucunement comme entité politique cohérente. On peut d’ailleurs remercier M. POUTINE d’avoir dissipé le flou qui entourait la question.
Et donc, où l’Europe, selon vous, commence-t-elle et où finit-elle ?
Simplement dit, à l’ouest, elle commence comme aujourd’hui avec l’Irlande, et à l’est, elle se termine sur la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Comme aujourd’hui. Le point le plus septentrional en est la Finlande, le point le plus méridional, Malte. Toujours comme aujourd’hui.
Mais alors, vous voulez dire qu’on y est déjà ?!?
Non. Car l’UE n’a pas encore entièrement assuré la continuité territoriale à l’intérieur des limites qu’on vient de tracer. Des négociations sont en cours avec des pays, officiellement candidats ; il conviendra d’en ouvrir d’autres avec ces pays qui ne le sont pas encore. A terme, l’ensemble de l’ancienne Yougoslavie devra être englobée dans l’UE, de même que l’Albanie.
L’UE a démontré qu’elle pouvait contribuer à calmer durablement le jeu, là où les esprits s’échauffent un peu vite ; ce qui est possible en Irlande du Nord peut l’être aussi au Kossovo, à Chypre, et en Transnistrie. D’ailleurs, aujourd’hui, la réunification de l’Irlande est à portée de main au cours des dix prochaines années.
Mais il y a quantité de pays, géographiquement européens, qui ne veulent pas rejoindre les rangs de l’UE – la Norvège, par exemple…
…la Norvège en effet, qui, par deux fois, a rejeté par référendum l’adhésion à l’UE, mais qui, comme l’Islande, la Suisse, et le Liechtenstein, est dans l’orbite économique de l’UE, dont elle est un fournisseur apprécié en gaz et en pétrole. Membre de l’OTAN et voisine de la Russie, elle constitue aussi un élément-clef de toute stratégie européenne de défense.
Pour tous ces pays et quelques autres, le rapprochement avec l’UE doit prendre la forme d’un statut de partenariat privilégié, dont la finalité ne doit plus être présentée comme l’automatique antichambre de l’adhésion à l’Union européenne.
Cette architecture a évidemment vocation à accueillir le Royaume-Uni, la Géorgie, et la Moldavie. Si M. ORBÁN trouve toujours que MOSCOU vaut mieux que BRUXELLES, la Hongrie pourrait y accéder, pour le cas où serait proclamée une Hongarexit de l’UE.
Vous ne faites absolument pas mention de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE ?
En effet, car, avant d’en arriver là, l’UE a l’impérative nécessité de revoir de fond en comble son fonctionnement institutionnel et notamment aussi, parallèlement, le fonctionnement de la Politique agricole commune et le soutien à la construction aéronautique : l’Ukraine est un géant agro-alimentaire mondial, et, avec ANTONOV, elle est le principal avionneur de la planète, spécialisé dans les très gros porteurs. Les Ukrainiens le savent et, par ailleurs, misent davantage dans l’immédiat sur une adhésion à l’OTAN, bien moins complexe à mettre en œuvre, et qui apporte une garantie bienvenue de protection militaire vis-à-vis de toute agression du fait d’un État tiers hostile.
Vous ne me l’avez pas encore reproché, mais c’est à dessein que je ne dis rien non plus de la Turquie. C’est que la réélection de M. ERDOĞAN n‘ouvre plus la moindre perspective d’adhésion à l’UE. Aux dirigeants et aux citoyens de ce grand pays, puissance régionale, il est maintenant plus que temps de dire qu’il faut arrêter l’absolue fiction d’une négociation ‘en cours’.
Mais vous avez quelques cas spéciaux, je crois…
…spéciaux, mais vite réglés. Pour les territoires d’Outre-mer que possèdent trois pays-membres de l’UE, rien ne change : moyennant quelques ajustements locaux, les départements français lointains, les Açores, et les Canaries doivent être considérés comme appartenant à l’UE.
Les cas très particuliers de Gibraltar et des Îles anglo-normandes devront être négociés avec LONDRES et avec les dirigeants de ces entités.
Enfin, les micro-États que sont Monaco, Andorre, Saint-Marin, et le Vatican doivent pouvoir conserver leurs spécificités, tout en bénéficiant d’un accès au Marché unique de l’UE.
Pour tous ces petits territoires semi-autonomes, le partenariat privilégié avec l’UE s’imposera comme le mode d’association le plus souple et le plus juste.
Et l’Union européenne pourra continuer à approfondir et à rationaliser son action, à sans cesse se réinventer, au cœur d’un continent débarrassé de la dangereuse ambiguïté du moment.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.