La formule est connue : « En cas de guerre, la première victime, c’est la vérité » - c’est aussi votre avis ?
Oui, et cette citation est d’autant plus pertinente qu’elle est attribuée à (au moins) une demi-douzaine d’auteurs, de SUN-Tzu à KIPLING. Corrigeons au passage cette injustice : elle date de 1916 et est en fait due à Philip SNOWDEN, Chancelier de l’Échiquier dans le premier gouvernement travailliste qu’ait connu le Royaume-Uni. Au passage, rappelons que ses qualités d’homme d’État lui vaudront d’être anobli ; il finira vicomte. Et toujours pour la petite histoire, il n’a strictement aucun rapport de parenté avec Edward SNOWDEN, ce lanceur d’alerte américain, aujourd’hui réfugié à MOSCOU.
Voilà qui est dit, et justice est rendue à feu Lord SNOWDEN. Mais revenons à la guerre d’aujourd’hui…
…car on peut en effet constater qu’en Ukraine, la vérité meurt plusieurs fois par jour. Le Kremlin n’a certes pas le monopole de la propagande, mais, de longue date, on y est passé maître dans l’art de la désinformation ciblée. Faute de pouvoir s’imposer militairement, l’objectif, c’est de saper l’adhésion de l’opinion en Europe et en Amérique du Nord au soutien à KYEV.
Alors, quel est le message de MOSCOU aux citoyens européens ?
L’argumentaire est fourni : la Russie ne ferait que se défendre contre l’agression avérée de l’OTAN ; la population ukrainienne aurait appelé la Russie à son secours pour la libérer du pouvoir exercé par une clique méprisable de nazis toxicomanes et corrompus, qui vendraient même les armes occidentales reçues à des organisations mafieuses dans toute l’Europe ; la fin de l’approvisionnement en gaz et en pétrole russe condamnerait les Européens à grelotter en hiver et à une inflation incontrôlée du coût de la vie ; l’escalade militaire de l’Occident ne pourrait aboutir qu’à une frappe nucléaire russe bien méritée.
Mais il faut du monde pour populariser ces messages, non ?
Vous avez raison. Ces éléments trouvent à être relayés dans les médias et avec zèle, chez nous, par des personnages plus ou moins connus, dont les prédécesseurs autrefois étaient désignés comme moscoutaires (appellation qu’on peut remettre au goût du jour). Mais l’essentiel de la propagande russe s’écoule par torrents sur les réseaux sociaux, grâce à une infinité d’internautes anonymes, les idiots utiles d’aujourd’hui, manipulés à distance par les fermes à trolls de SAINT-PÉTERSBOURG, dont certaines des plus actives sont la propriété du patron des groupes de mercenaires WAGNER, l’aimable Evguéni PRYGOGINE.
Mais, en Occident, personne ne cherche à rectifier la version russe de l’actualité, à porter la contradiction, bref : à réagir ?
C’est que trop longtemps, on a considéré chez nous que ce qui sortait de MOSCOU était tellement invraisemblable qu’aucun citoyen sensé ne pouvait y accorder la moindre crédibilité. Nous étions – reconnaissons-le – un rien naïfs.
Mais, avec un certain retard, nos gouvernements, nos parlements, l’Union européenne, l’OTAN ont mis en place les équipes de volontaires spécialisés qui, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, analysent la propagande d’en face, en déterminent l’origine, et publient les correctifs qui s’imposent.
Le site européen <euvsdisinfo.eu> du groupe opérationnel East StratCom en est un excellent exemple.
De même, nos médias ont augmenté de façon sensible le nombre de journalistes dédiés à démêler le vrai du faux.
Et il s’est créé nombre de sites, animés souvent par d’anciens militaires, qui examinent quotidiennement et dans le détail l’évolution des forces adverses sur le terrain. On citera par exemple celui de nos confrères du magazine Air & Cosmos, ou encore <european-security.com>.
Et vous voulez nous faire découvrir une initiative, plutôt intelligente et qui prend une ampleur inimaginable…
En effet. Vous connaissez le sigle de l’OTAN en langue anglaise : NATO, mais vous ne connaissez peut-être pas le NAFO, OFAN en français. C’est un groupe informel en constante expansion sur Twitter, dont le personnage-clef est un chien, souvent en uniforme de l’armée ukrainienne, et qui répond par l’humour (et massivement) à la moindre incursion dans la Twittosphère de propagandistes pro-russes, peu doués pour riposter à l’ironie mordante du chien, et qui finissent toujours par jeter l’éponge.
Lorsqu’un membre du groupe détecte une cible, il déclenche le processus Article 5 (allusion au dispositif de solidarité automatique du Traité de l’OTAN) et, de partout dans le monde, les internautes de l’OFAN accourent pour assaillir l’adversaire. A quelque 5.000 interventions par jour, cela fait mal. Accessoirement, l’OFAN encourage les internautes à faire des dons aux forces armées ukrainiennes…ce qui a valu au chien les remerciements du Ministre ukrainien de la Défense.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.