Dans
un contexte politique mondial objectivement peu favorable à
l’Europe, les résultats des élections législatives en Slovaquie,
samedi dernier, viennent en rajouter aux soucis des dirigeants de
l’UE – alors, QD, où en est-on ?
D’abord, un rappel des faits : en 2018, le Premier ministre slovaque, Robert FICO, est amené à démissionner, notamment en raison de la proximité de certains de ses proches avec des organisations mafieuses italiennes et avec l’auteur d’un double assassinat, celui du journaliste Ján KUCIAK et de sa fiancée. Notre confrère était l’auteur de plusieurs reportages, qui mettaient en lumière le système d’influence et de corruption gravitant alors autour de M. FICO.
Son successeur comme chef de gouvernement fut un ancien membre de son parti très théoriquement social-démocrate, le SMER, et à la tête d’une formation politique dissidente et concurrente de celui-ci, M. Peter PELLEGRINI.
Mais c’est le parti de M. FICO qui a remporté les législatives la semaine dernière ?
En effet, et très nettement devant son principal concurrent, le Parti Slovaquie progressiste. Et il paraissait évident que M. FICO allait former un gouvernement de coalition avec un parti de droite.
Mais pourquoi ceci provoquerait-il des préoccupations à Bruxelles ?
Dit simplement, parce que M. FICO épouse depuis toujours une ligne prorusse, anti-OTAN, et eurosceptique.
Et aussi parce qu’il a fait campagne sur la promesse d’arrêter toute aide financière ou militaire à l’Ukraine et à refuser d’accueillir le moindre réfugié ukrainien dans son pays. Pour lui, Tchèques et Slovaques doivent se montrer perpétuellement reconnaissant vis-à-vis de la Russie, dont l’Armée rouge est venue en 1945 libérer leur territoire de l’occupation nazie.
Et, pour faire bonne mesure, M. FICO tient les autorités ukrainiennes actuelles pour les nouveaux nazis. Il parvient ainsi à faire passer pour modéré son voisin hongrois, Victor ORBÁN, pourtant activement kremlinophile – Victor ORBÁN, qui a été naturellement le premier à féliciter M. FICO de sa victoire électorale.
A l’issue de celle-ci, tout paraissait donc clair, non ?
…oui, sauf que rien ne s’est passé comme prévu, car le parti de M. PELLEGRINI, qu’on avait un peu oublié, est tout-de-même arrivé en troisième place aux législatives – et voilà qu’il annonce pouvoir créer un gouvernement, en coalition avec une ribambelle de partis, mais sans celui de M. FICO, pourtant chargé par la Présidente de la République de former un gouvernement.
On ne sait pas encore si cette étonnante initiative a des chances d’aboutir, mais, en tout cas, elle rebat sérieusement les cartes.
Alors, si M. FICO parvient malgré tout à former un gouvernement, est-ce grave ?
Oui et non. Oui, parce que cela ajouterait un membre au club malsain des pays de l’UE qui en rejettent ouvertement les valeurs ainsi que les pratiques d’une démocratie parlementaire, aux côtés de la Hongrie et de la Pologne.
Oui, parce que cela confirmerait le glissement en Europe et en Occident en général vers une gestion plus autoritaire des États, au détriment des libertés fondamentales dont nous jouissons et que nous croyions inattaquables et éternelles.
Mais Non, parce qu’il faut bien mesurer les moyens réels dont disposent la Slovaquie et ses deux alliés eurosceptiques pour perturber le fonctionnement des institutions de l’Union européenne. Or, c’est là que la complexité et la pesanteur de l’UE, souvent décriée, s’avère un avantage considérable – autant s’attaquer à une citadelle avec un tromblon : on en abîmerait peut-être un peu la façade, mais aucun risque de dégâts significatifs. On ajoutera que ce ne sont pas les quatorze députés slovaques au Parlement européen (dont tous ne sont pas des amis de M. FICO) qui seraient en mesure de faire dérailler cette institution, particulièrement vigilante quant aux risques de dérives antidémocratiques.
Non, enfin, parce que M. FICO est un politicien hâbleur, habitué aux volte-face, et qui jamais n’a hésité à trahir ses engagements électoraux. C’est étrange, mais, le cas échéant, il faudra sans doute s’en féliciter.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.