Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, vous avez examiné de près les marchés des armes et des systèmes d’armement…
Dans le commerce mondial des armes à destination des forces militaires, il existe de (très) longue date des règles immuables.
L’une de celles-ci, c’est que les pays exportateurs y voient une prolongation de leur politique étrangère et une affirmation de leurs valeurs : c’est vrai des fournitures iraniennes au Hezbollah comme du matériel militaire non-létal livré par l’Irlande à l’Ukraine.
De plus, les pays producteurs apportent le plus souvent aux pays acheteurs des garanties de sécurité, lesquelles restent en vigueur tout au long de la vie utile du matériel, qui peut s’étendre sur plusieurs décennies ; ces garanties comprennent – notamment – les adaptations techniques, ainsi que la mise à niveau périodique des programmes informatiques, la livraison des pièces de rechange et, le cas échéant, les munitions spécifiques. Évidemment, cette relation obligée dans la durée constitue un moyen efficace de pression géopolitique sur le gouvernement de l’État acquéreur.
Certes, mais où voulez-vous en venir ?...
Tout simplement à ceci : le pays exportateur d’armes qui, depuis quatre-vingts ans, bénéficie le plus (et de très loin) des clauses de garanties de sécurité, c’est les États-Unis d’Amérique.
Ces garanties de sécurité constituent même le principal argument de vente de l’industrie militaire étatsunienne et en assurent la prospérité, jusqu’ici tenue pour perpétuelle.
Pourquoi dites-vous jusqu’ici ?...
Parce que, depuis l’algarade de l’autre jour dans le Bureau Ovale de la Maison-Blanche, dont le Président ZELENSKY a été la victime, à laquelle s’est ajoutée la suspension américaine des fournitures militaires, du partage du renseignement, et de la couverture satellitaire tactique, sur lesquels l’Ukraine compte de façon cruciale, une évidence s’est imposée à tous les gouvernements de la planète : désormais, les garanties de sécurité américaines ne valent strictement plus rien.
En quoi cela intéresse-t-il les Européens ?...
Peut-on vraiment penser que les dirigeants européens, enfin sortis (avec quelques exceptions) de leur confortable léthargie, vont se précipiter pour se réarmer chez Donald TRUMP ? C’est qu’à tout moment, celui-ci peut avoir l’idée d’interdire aux Européens de se servir de matériel américain contre la Russie.
Et des commandes européennes, il va y en avoir, et massivement : au sein de cette coalition des pays volontaires qui se dessine sous nos yeux, d’ici la fin de cette année, la Pologne aura augmenté à hauteur de 5 % de son PIB son budget consacré à la défense ; et le Royaume-Uni se hissera à 2,5 % dans les dix-huit mois.
Les industriels européens de la défense doivent se frotter les mains, non ?...
Étant du genre discret, aucun d’entre eux ne vous dira jamais cela tel quel ; ce qui est certain, c’est qu’ils bénéficient désormais en quasi-exclusivité des retours d’expérience des différents équipements soumis au quotidien à l’épreuve du conflit de haute intensité en Ukraine.
Mais, pour se faire une idée complète de la situation, c’est ailleurs qu’il faut regarder.
Où cela ?...
Vers les milieux financiers, peu suspects de se montrer réceptifs aux délires idéologiques, d’où qu’ils viennent. Ces milieux-là ont compris qu’il valait mieux investir dans l’industrie de défense européenne que dans l’américaine. Et là, les chiffres sont éloquents : depuis l’investiture de Donald TRUMP, les plus grosses entreprises américaines de l’armement ont reculé de 4 % en moyenne en valeur boursière … pendant que leurs concurrentes européennes progressent de plus de 30 %. Mieux : le lendemain de l’incident du Bureau Ovale, les européennes prenaient encore de 12 à 17 %.
Pour enfoncer le clou, les marchés s’attendent à une réduction de la production des industriels américains, vu que Elon MUSK et le Vice-président VANCE annoncent une considérable réduction du budget du Pentagone.
Enfin, on peut se demander si les industriels européens vont poursuivre leur collaboration avec des sous-traitants américains.
Conclusion ?...
Conclusion inévitable : on peut se demander quels marchés d’exportation importants et solvables il reste encore à l’industrie américaine de défense.
Et, pour paraphraser le récent éditorial de nos confrères du Wall Street Journal, bible des milieux financiers, on peut valablement se dire que ce ramassis de décisions irréfléchies constitue la politique industrielle de défense la plus stupide de tous les temps.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.