Vous êtes – comme souvent – agacé par des dysfonctionnements qui, selon vous, n’ont pas de raison d’être, c’est cela ?
Nos auditeurs, habitués de cette chronique, connaissent ma propension à dénoncer les initiatives généreusement à la mode, mais dont la mise en œuvre mal conçue et mal exécutée conduit à l’inefficacité de l’opération et au gaspillage d’argent (généralement public, d’ailleurs, c’est-à-dire le vôtre et le mien).
Et, aujourd’hui, vous nous en révélez un nouvel exemple…
… et qu’il me coûte d’en décrire les méandres, puisque l’idée de départ, elle, est excellente et utile, et que j’y souscris entièrement.
Alors, de quoi s’agit-il ?
Tout simplement des engagements, pris par les pays les plus riches du monde, à PARIS en 2015, à cofinancer la réduction des procédés industriels fortement polluants des pays moins prospères. L’objectif, c’était de dégager 100 milliards d’Euros par an à cette fin, ce qui a été à peu près réalisé. La liste des projets retenus par les pays participants est centralisée par les Nations-Unies. Au cours des cinq premières années de fonctionnement du système, ce sont plus de 40.000 projets qui ont ainsi été signalés par 35 pays-donateurs, pour un montant dépassant les 182 milliards d’Euros. L’Union européenne en tant que telle et cinq de ses États-membres (Allemagne, France, Espagne, Suède) y auront contribué pour la moitié.
Mais alors, tout va bien… et on ne comprend pas vos réserves !
Patience, vous l’allez voir. La procédure pour les pays donateurs, c’est donc de signaler le financement ciblé de tel ou tel projet, accompagné du dossier détaillé, dûment recouvert d’un coup de tampon Financement Climat.
Mais voilà : c’est purement déclaratif et les Nations-Unies n’en vérifient aucun élément. Et, au fil du temps, la notion de Financement Climat est devenue aussi élastiquement large que celle des indemnités de mandat d’un sénateur français.
Il faut comprendre : les grands bénéficiaires sont l’Inde, l’Indonésie, le Bangladesh, l’Afrique sub-saharienne et l’Amérique centrale. Tous sont évidemment à l’affût de la moindre aide financière, d’où qu’elle vienne et quelles qu’en soient les conditions ; de même, les pays-donateurs entendent passer pour de bons et généreux élèves de classe mondiale.
De la sorte, les uns et les autres manquent régulièrement de rigueur dans la sélection des projets, et de sincérité dans la déclaration des montants décaissés.
Vous avez, on l’imagine, quelques exemples ?
Puisque vous m’y incitez, en voici un florilège : à Haïti, pays tristement affligé par la corruption, la violence, et les catastrophes naturelles, un prêt à taux zéro a été accordé à la chaîne d’hôtels américaine MARRIOTT pour la réhabilitation d’un immeuble de logements en hôtel de haute de gamme (Don des États-Unis d’Amérique).
Deuxième exemple : un soutien financier a été donné à une entreprise italienne pour ouvrir une chaîne de confortables bars à glace et de chocolat dans nombre de pays les plus démunis de l’Asie du sud-est (Don de la République italienne). Troisième exemple : une subvention a été perçue par les producteurs d’un film de fiction racontant dans le détail les amours d’un bûcheron et d’une militante anti-déforestation (Don du Royaume de Belgique). Enfin, et je m’arrêterai là, il y a eu la prise en charge financière de l’extension d’un aéroport régional en Égypte ainsi que d’une mine de charbon au Bangladesh (Toutes deux dons de l’Empire du Japon).
C’est assez extraordinaire…mais ce sont sans doute des cas isolés ?
Isolés, sans doute, mais significatifs d’un état d’esprit chez un certain nombre de pays participant au programme. Mais il y a plus préoccupant : quel est le point commun entre 107 millions d’Euros pour des aménagements portuaires au Kenya, 267 millions pour la modernisation d’un métro au Mexique, et 118 millions, au bénéfice d’une banque chinoise, pour de vagues initiatives environnementales ? Réponse : ces trois projets ont été officialisés, mais jamais réalisés, et pas un centime n’a été décaissé – mais cela n’a pas empêché la France de les faire figurer dans la liste de ses bienfaits, telle que transmise aux Nations-Unies.
C’est un constat certes désolant, mais que faire ?
Un suivi par étapes successives de la réalisation de chaque chantier, ainsi qu’un contrôle de fin de projet : comme d’habitude, les solutions sont connues, avérées, et relativement aisées à mettre en œuvre – mais, toujours comme d’habitude, la volonté politique de faire vite (et de l’annoncer) prime sur la sécurité juridique, dont l’absence laisse la porte grand ouverte à tous les fantasmes gabégistes et complotistes.
Et une partie de l’opinion, dans les pays riches, peut être tentée de penser que l’argent serait mieux dépensé ailleurs, plus près de chez soi. Le risque est réel que des gouvernements faibles et/ou populistes peuvent être tentés de jeter le bébé avec l’eau du bain. Vigilance, donc.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.