L'Europe vue de Bruges

Recevoir Xi Jinping en Europe : un exercice d’équilibriste

Recevoir Xi Jinping en Europe : un exercice d’équilibriste

Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion David Sassoli (2022-2023), des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.

Marie Ketterlin est assistante académique au Collège d’Europe, au sein du département d’Etudes politiques et de gouvernance européenne. Elle a étudié à Sciences Po Strasbourg et à l’Université Lumière Lyon 2. Elle est l’autrice de plusieurs articles d’analyse de la politique états-unienne pour Maze.fr.

C’est un événement diplomatique important qui a eu lieu la semaine passée : Xi Jinping était en Europe pour la première fois en cinq ans, pour se rendre à Paris, Belgrade et Budapest…

Que peuvent bien avoir Paris, Belgrade, Budapest en commun ? Selon la presse américaine, c’est la volonté de voir la Chine comme un « contrepoids économique » important face aux Etats-Unis. Plus précisément, la visite de Belgrade coïncide avec le 25ème anniversaire de la destruction de l’ambassade chinoise à Belgrade par une frappe de l’OTAN – ce n’est pas anodin. Et pour la Hongrie, la Chine est devenue en 2023 l’investisseur étranger le plus important dans le pays (à hauteur de 10 milliards d’euros).

Mais il n’est pas passé par Bruxelles…

L’Union européenne n’a eu de cesse de clarifier sa position envers la Chine et l’importance de « dé-risquer sans découpler » les relations sino-européennes. C’est une position ferme, ce qui peut aider à comprendre ce choix de se rendre dans des capitales où Xi Jinping s’attend à recevoir un accueil plus « chaleureux ». Ceci étant dit, Ursula Von der Leyen s’est jointe aux discussions lundi 6 mai à l’Élysée – et cela rappelle le voyage d’État d’Emmanuel Macron en Chine l’année dernière, où il avait déjà emmené une délégation de l’UE dans ses bagages (y compris VDL). Von der Leyen et Macron ont cependant présenté un front plus uni cette fois-ci que ce ne fut le cas l’année passée.

On peut bien évidemment imaginer que des dossiers majeurs ont été discutés. Que retenir de cette visite ?

C’est essentiellement le manque de réponse claire.

Un premier nœud est certainement les relations commerciales entre la Chine et l’UE, et plus précisément les questions de concurrence. Dans les grandes lignes, il existe un problème de « sur-production » de biens chinois subventionnés par l’État – on pense notamment aux véhicules électriques, mais pas seulement. Difficile de savoir ce que les discussions ont permis de dénouer : Xi Jinping a simplement « nié » l’existence d’un problème de « surcapacité », Emmanuel Macron a souligné l’attitude « ouverte » de son homologue, … Au-delà de cela, pas de détail sur une possible marche à suivre pour « rééquilibrer » la balance commerciale entre l’UE et la Chine.

Un deuxième dossier crucial évoqué est la guerre en Ukraine et le soutien quasi inconditionnel de la Chine à la Russie. Trois éléments à noter cette fois : premièrement, l’ « engagement » de la Chine à réduire les transferts de technologie des biens à « double usage » (ce qu’on appelle les ‘dual use goods’), mais sans garantie concrète ou moyen de contrôle ; deuxièmement, l’ouverture à l’idée d’une « trêve olympique » cet été ; troisièmement, une posture « défensive » du dirigeant chinois qui invite à ne pas rejeter la responsabilité d’un tel conflit sur un État-tiers.

Quant aux autres dossiers sensibles – impossible de ne pas y penser – le génocide des Ouïghours, les droits de l’Homme en général, les intérêts stratégiques de la Chine, … c’est « silence radio ». On sent que Xi Jinping a bien maîtrisé à la fois l’agenda et la communication autour de cette visite.

À l’échelle « stratégique », justement… que nous a appris cette visite, si l’on tente de lire entre les lignes ? 

Premièrement, qu’il est important de réfléchir à la manière dont l’UE est perçue dans de telles discussions. La présence de Von der Leyen à Paris témoigne-t-elle du fait qu’il n’est plus possible de traiter avec la Chine sans inclure l’UE ? Ou, au contraire, que les États membres restent les interlocuteurs privilégiés de la Chine ?

Si l’on opte pour cette dernière option, on en vient maintenant à une seconde conclusion qui est l’apparent « éclatement » des États membres sur la question chinoise, notamment du couple franco-allemand (Scholz ayant refusé l’invitation de Macron et préférant dialoguer avec la Chine dans un format bilatéral).

S’il y a une image que l’on peut retenir, ce serait celle d’un exercice d’équilibriste, entre défense de l’intérêt communautaire et protection des intérêts des Etats membres. S’y ajoutent la nécessité de conserver une apparence d’unité et l’aspiration à dessiner une voie vers l’ « autonomie stratégique ».

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.