Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Par Filomena Ratto.
Thibault Besnier est assistant académique du département d’études politiques et de gouvernance européennes (POL) du Collège d’Europe. Passionné par les questions de transition écologique, il a publié des articles sur les évolutions de la directive énergies renouvelables et sur l’autorité de l’UE dans le domaine de l’énergie.
Le 6 Février dernier, les co-législateurs européens ont trouvé un accord pour adopter le « Net Zero Industry Act ». Cet accord fixe comme objectif d’atteindre 600 GW d’électricité produite par le solaire dans l’UE, contre 320 GW en 2025, tout cela dans le but d’atteindre 42,5% d’électricité renouvelable dans le mix énergétique de l'UE d’ici 2030. Les industriels doivent-être à la fête, non ?
Alors oui, les bonnes nouvelles s’accumulent pour le secteur des renouvelables depuis le début du Pacte Vert Européen. Si on compare l’image des renouvelables, leur rentabilité et la vitesse de déploiement entre aujourd’hui et il y a dix ans, il n’y a pas photo : on n’est plus dans le même monde. Entre 2010 et 2014, on avait un secteur morose, et une électricité renouvelable critiquée pour son coût élevé. Alors que désormais, tout le monde est d’accord : les renouvelables et en particulier le solaire font partie des sources d’électricité les plus compétitives en Europe. The Economist soulignait le 8 février qu’on a autant installé de panneaux solaires dans les 3 dernières années que depuis le début du millénaire.
Mais est-ce que cela se fait au bénéfice des acteurs européens ?
Et bien c’est là que la grisaille pointe le bout de son nez. Comme l’a souligné le Think tank Bruegel au début du mois, 95% des panneaux solaires que nous installons dans l’UE viennent de Chine : ce ne sont pas des entreprises européennes qui bénéficieront de la transition mais des industries Chinoises. En réalité, l’industrie solaire Chinoise a écrasé sa compétition Européenne lors de la dernière décennie grâce à ses coûts bas – pendant ce temps les européens rechignaient à soutenir les entreprises européennes, en grande partie à cause de la crise financière.
Et est-ce un problème pour l’Union et ses Etats ? Après tout, le solaire chinois n’a rien à voir avec le Gas russe.
En effet, si on ferme un pipeline de Gas naturel, on se retrouve rapidement face à un problème, alors que pour le solaire, si la Chine cesse de fournir, les panneaux installés continueront de produire.
Être dépendant sur le solaire c’est donc moins grave que de l’être sur le Gas, mais cela reste un problème – il faut bien renouveler le parc solaire : les cellules ne sont pas éternelles. Et c’est là que réside toute la complexité de l’équation pour les dirigeants européens : privilégier une transition rapide au moyen du solaire chinois à bas coût ; ou bien développer une industrie solaire européenne à partir de presque rien, impliquant plus de difficultés à atteindre les objectifs de renouvelables. Au fond, le même problème s’était posé avec le Gas Russe, mais nos dirigeants n’avaient alors pas vraiment conscience du revers de la médaille associé à cette source d’énergie peu onéreuse.
Vous semblez donc insinuer que les européens doivent réagir à cette situation…
Ce sera très clairement l’un des grands arbitrages qui fera suite aux élections européennes : nous avons développé un programme complet de transition verte, mais maintenant il faut le réaliser. Cela passe par de la législation, des dépenses bien sûr mais aussi par le développement de nos capacités européennes, sinon nous ferons cette transition à nos dépends et au profit de nos partenaires commerciaux – amis comme hostiles. En somme cela passe par une montée en gamme de la politique industrielle de l’UE.
Mais l’Union en est-elle capable ?
Cela n’est pas facile à dire, nous y sommes arrivés avec les vaccins mais nous avons échoué avec le développement des industries de défense, du moins jusqu’à présent. Ici la situation est différente, et pas dans le positif : l’industrie européenne du solaire est largement écrasée par celle Chinoise ; à cela s’ajoute la concurrence Américaine soutenue par le programme de subventions « Inflation Reduction Act ». Si les Européens souhaitent développer une Industrie Solaire Européenne, ils ont donc intérêt à agir vite, fort et surtout ensemble.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.