Nina Guibère suit le programme d’études politiques et gouvernance européennes du Collège d’Europe à Bruges. Elle est diplômée en administration internationale (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) ainsi que d’un master bilingue en droit international et européen (Université Paris Nanterre). Ses thématiques de prédilection sont l’égalité des genres, les droits humains et la santé publique. Elle a précédemment travaillé entre autres à l’ambassade de France en Lettonie, à l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) ainsi qu’à l’Organisation de co-opération et développement économiques (OCDE). Au Collège d’Europe, Nina préside l’association étudiante pour l’égalité des genres (SAGE).
Nous venons de célébrer la journée internationale des droits des femmes, marquée chaque année le 8 mars. L’Union Européenne s’est-elle saisie de la question de l’égalité des genres ?
L’égalité entre les hommes et les femmes est l’une des valeurs fondatrices de l’Union Européenne, consacrée dès le Traité de Rome de 1957 par le principe « à travail égal, salaire égal ». Dès les années 1970, la Communauté Européenne s'est lancée dans un travail législatif pour garantir l'égalité des genres. Les dispositions adoptées concernaient d’abord principalement l’égalité sur le lieu de travail mais le champ d’action de l’UE en la matière s’est progressivement élargi pour inclure, entre autres, la lutte contre les violences faites aux femmes, l’équilibre entre la vie privée et la vie familiale, la représentation des femmes en politique, etc.
Quel rôle l’Union Européenne joue-t-elle actuellement dans la lutte pour l’égalité des genres ?
Aux termes de l’article 8 du traité de Lisbonne, l’une des missions de l’Union Européenne est d’éliminer les inégalités et de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes dans toutes ses activités : c’est ce que l’on appelle le « gender mainstreaming ». En d’autres termes, l’égalité des genres doit être prise en compte et inclue dans tous les domaines politiques, à tous les niveaux et à chaque stade de l’élaboration des politiques publiques. Le rôle que l’Union Européenne a joué et peut continuer à jouer en matière d’égalité hommes-femmes est donc virtuellement illimité.
Selon Věra Jourová, Vice-Présidente de la Commission Européenne chargée des valeurs et de la transparence, « malgré des lacunes, l’Europe reste une bonne adresse pour les femmes ». Êtes-vous d’accord avec cette déclaration ?
L’Union Européenne est effectivement pionnière en termes d’égalité des genres, même si d’importants progrès restent à faire : d’après Eurostat, les femmes gagnent en moyenne 13 % de moins que les hommes dans l’UE, 33% d’entre elles ont subi des violences physiques et/ou sexuelles et elles ne représentent que 7,7% des PDG à l’échelle de l’Union. Pour relever ces défis, la Commission fixe des programmes pluriannuels déterminant des domaines d’action clé pour assurer l’égalité des genres. La stratégie actuelle vise la période 2020-2025 et a pour ambition de progresser vers « une Union de l’égalité ».
Quelles sont les priorités fixées par cette stratégie ?
La stratégie 2020-2025 est subdivisée en cinq domaines d’action.
Le premier vise la lutte contre les violences et les stéréotypes à l’encontre des femmes, via notamment la potentielle accession de l’Union Européenne à la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe. La stratégie 2020-2025 entend également remédier aux violences de genre en rendant internet plus sûr pour tous ses utilisateurs, en améliorant le recueil de données sur la prévalence de la violence et du harcèlement sexistes à l’échelle de l’UE et en lançant une campagne de sensibilisation aux stéréotypes sexistes de grande ampleur.
Le deuxième objectif de la stratégie 2020-2025 est d’offrir aux femmes la chance de mener une vie sociale et économique aussi prospère que celle des hommes, via notamment l’introduction de mesures contraignantes en matière de transparence salariale, en encourageant le partage équitable du recours aux congés familiaux et au télétravail ou encore en investissant dans les services d’accueil et de soins pour les enfants.
La stratégie vise en troisième lieu la représentation des femmes dans les positions de leadership, à l’échelle des entreprises, des communautés et des États. Des objectifs chiffrés à l’échelle de l’UE en ce qui concerne l’équilibre hommes-femmes au sein des conseils d’administration doivent être adoptés, la participation des femmes en tant qu’électrices et candidates aux élections européennes de 2024 est encouragée, et la diversité doit être promue sur tous les lieux de travail.
Le quatrième pan de la stratégie entend inclure une perspective de genre (c’est le ‘gender mainstreaming’ dont nous parlions il y a quelques instants) et d’intersectionnalité dans toutes les politiques publiques de l’UE. La réalisation de cet objectif est facilitée par la création d’un poste de Commissaire à l’égalité, ainsi que de la création d’une Task Force pour l’égalité composée de représentants de tous les services de la Commission et du Service Européen pour l’Action Extérieure.
Enfin, la stratégie 2020-2025 prévoit un financement spécifique à l’appui de l’égalité hommes-femmes.
La stratégie actuelle couvre, comme vous l’avez dit, la période allant de 2020 à 2025. Nous sommes donc à un peu plus de la moitié du parcours. Quelles ont été les principales réalisations permises par cette stratégie ? Reste-t-il beaucoup à faire ?
De manière générale, la stratégie semble porter ses fruits. Parmi les réalisations les plus importantes, on notera l’adoption en octobre dernier de la directive relative à la présence des femmes dans les conseils d’administration, baptisée “Women on Boards” selon laquelle au moins 40% des postes d’administrateurs non exécutifs ou 33% de tous les postes d’administrateurs devront être occupés par des femmes d’ici juillet 2026. Une proposition de directive sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, a été publiée en 2022 et doit encore être adoptée. Cependant, de très nombreux défis subsistent à l’égalité des genres dans l’Union Européenne, à fortiori depuis la pandémie de Covid-19 qui a engendré un réel recul des droits des femmes.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.