Luis Matos et Vincent Machado (étudiants au sein du département d’études politiques et de gouvernance européennes)
Dans un an, la stratégie en faveur de l’égalité LGBTIQ touchera à sa fin. À l’approche des élections, on peut s’attendre à ce que la Commission commence à réfléchir à une nouvelle stratégie pour les années à venir.
Pouvez-vous revenir sur la stratégie 2020-2025 en faveur de l’égalité LGBTIQ?
Publiée en novembre 2020 après une annonce d’Ursula Von Der Leyen dans son discours sur l’état de l’union. Il s’agit de la toute première stratégie européenne pour les personnes LGBTIQ. Avant cette stratégie, nous n’avions qu’une liste d’actions pour l’égalité. Cette stratégie s’inscrit dans la continuité de la toute première nomination d’une Commissaire à l'Égalité.
Dans cette communication, la Commission développe quatre objectifs : la lutte contre les discriminations, la sécurité, la construction d’une société inclusive et une action extérieure européenne promouvant les droits LGBTIQ dans le monde.
Cette stratégie présente également l'ambition d'un "equality mainstreaming", c'est-à-dire d’une prise en compte systématique des caractéristiques sexuelles et de genre dans la conduite des politiques publiques européennes.
Alors que nous approchons la fin du mandat de la Commission et la fin de cette stratégie, que pouvez-vous dire de son bilan ?
Alors, deux législations importantes ont été poussées par la Commission : la directive sur les organismes de promotion de l’égalité, qui devrait être adoptée dans les prochaines semaines. Également, la Commission a proposé un règlement pour reconnaître les familles homoparentales au niveau européen, une avancée majeure et très attendue par la société civile. En revanche, le règlement doit toujours être adopté par le Conseil, ce qui ne devrait pas être une tâche facile.
Il est aussi important de souligner que l’ambition affichée de la stratégie en matière d’intersectionnalité a été appliquée de manière insatisfaisante. L’intersectionnalité n’a pas été développée comme la réelle intersection des motifs de discrimination. Au contraire, la Commission s’est contentée d’insérer la mention des personnes LGBTIQ dans ses différentes politiques.
Globalement, ILGA-Europe, la plus grande ONG européenne représentant les intérêts des personnes LGBTIQ+, observait en 2023 encore, de grandes disparités entre les États-membres en matière de protection et d’octroi de droits aux minorités.
Si on regarde du côté de ce qui n’a pas été fait, il y a notamment la recommandation sur la prévention des pratiques de mutilations génitales féminines : cette recommandation n’a toujours pas vu le jour alors qu’elle a été annoncée et qu’elle devait prendre en compte les mutilations intersexes, dans une perspective intersectionnelle.
Qu’est-ce qu’il reste à faire pour les droits LGBTIQ dans l'Union européenne, et que pouvons-nous attendre après cette première stratégie ?
Le Parlement européen a rendu un rapport en février 2024 sur la mise en œuvre de la stratégie. Plusieurs critiques ont été adressées : le fait que la directive horizontale sur la non-discrimination soit bloquée au Conseil depuis 2008 mais aussi la nécessité d’inclure systématiquement l’identité et l’expression de genre ainsi que les caractéristiques sexuelles dans les politiques anti-discrimination de l’UE pour mieux protéger en particulier les personnes trans et intersexes.
Également, le rapporteur, José Gusmão, a exprimé son inquiétude quant à l’accès au droit d’asile pour les personnes LGBTIQ persécutées dans leur pays ; en particulier il mentionne un manque d’instructions claires au sein de l’agence européenne pour l’asile.
Dans un contexte de montée de l’extrême droite, le rapport note également l’urgence à reconnaître et criminaliser les discours de haine anti-LGBTIQ.
Pour ce qui est de l’avenir, le Parlement a exprimé trois souhaits pour le prochain mandat :
Le maintien du Commissariat dédié à l’égalité
La création d’un poste de coordinateur LGBTIQ au sein de la Commission
La création d'un poste de Représentant pour les Droits LGBTIQ au sein du Service Européen pour l'Action Extérieure.
Enfin, il semblerait opportun que la nouvelle Commission propose rapidement une nouvelle stratégie en faveur de l'égalité LGBTIQ, après 2025. Une stratégie actualisée devrait tenir compte des nouveaux défis écologiques et numériques. En particulier, les risques de discrimination liées à l'essor de l'intelligence artificielle, qui, on le sait, peut reproduire des stéréotypes genrés et hétéronormatifs.
Nous ne pouvons qu’espérer que la promesse d’égalité LGBTIQ, ne soit pas mise au placard au lendemain des élections.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.