Thomas Klinkert est étudiant en études politiques et de gouvernance européennes au Collège d’Europe. Après avoir étudié en classe préparatoire au Lycée Kléber de Strasbourg, il a été diplômé d’un double-master en management et en droit des affaires à SKEMA Business School, à Lille. Lors de son cursus, Thomas a également réalisé un stage au sein du service politique de l’Ambassade du Grand-Duché de Luxembourg à Abu Dhabi.
On entend beaucoup parler des pétromonarchies du Golfe et de leurs liens avec l’Europe, mais relativement peu du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Pourquoi est-il intéressant d’aborder ce sujet ?
Effectivement, les États du CCG – à savoir l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, le Qatar, le Koweït, Bahreïn et Oman – sont revenus au centre de l’attention médiatique en Europe au cours des derniers mois, et ce notamment en raison du Qatargate et de la crise énergétique.
Cela dit, l’attention réservée à l’organisation du CCG est demeurée limitée. Il est pourtant utile de s’intéresser à la relation l’unissant à l’UE. Ces deux organisations ont tout d’abord d’importants liens commerciaux. L’UE est en effet le 2e partenaire commercial du CCG, et ce dernier est le 5e marché d’exportation de l’UE. Par ailleurs, le contexte géopolitique et énergétique actuel a poussé l’UE à se rapprocher du CCG, au point de publier un nouveau « Partenariat Stratégique avec le Golfe » au mois de mai 2022.
Quel a été l’historique des relations entre l’Union européenne et le Conseil de Coopération du Golfe ?
Le premier accord de coopération entre l’UE et le CCG date de 1989. Il visait à renforcer les échanges commerciaux et politiques ainsi qu’à coopérer davantage dans des domaines tels que l’énergie, l’agriculture ou l’environnement. Dès l’année suivante, des négociations ont été initiées afin d’établir une zone de libre-échange entre les deux organisations.
Ces promesses n’ont cependant pas été tenues. D’une part, les coopérations prévues par l’accord de 1989 sont majoritairement restées théoriques et d’autre part, les négociations sur l’accord de libre-échange ont été interrompues en 2008 à cause de l’impossibilité de trouver un terrain d’entente entre les deux organisations. Parmi les raisons ayant mené à ces difficultés, il est important de garder à l’esprit que les États des deux organisations ont continuellement privilégié une coopération bilatérale plutôt que multilatérale.
Pourquoi l’Union européenne a-t-elle donc cherché à revitaliser la coopération à l’échelle multilatérale ?
La première raison est bien entendu la diversification des sources d’approvisionnement en pétrole et en gaz naturel liquéfié, qui est devenue une nécessité alors que l’Union cherche à se détourner des hydrocarbures russes. Le partenariat avec le Golfe est à cet égard un élément clef du plan REPowerEU visant à doter l’Europe d’une énergie abordable, sûre et durable.
Par ailleurs, il est dans l’intérêt de l’UE et de ses entreprises d’accompagner les transitions énergétiques et digitales prévues par les stratégies de diversification économique des États du CCG, à l’instar du projet de la ville futuriste Neom en Arabie Saoudite.
Enfin, l’UE cherche à jouer un rôle géopolitique plus important dans le Golfe, alors que la Russie et surtout la Chine essaient de tirer profit du désengagement américain de la région, comme le démontre la récente médiation chinoise ayant mené au rétablissement des liens diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Ce contexte oblige l’UE à s’impliquer davantage auprès du CCG afin de maintenir une présence stratégique dans la région.
Concrètement, en quoi consiste le partenariat stratégique entre l’UE et le CCG de mai 2022 ?
Prenant acte des éléments que je viens de citer, le partenariat stratégique expose un grand nombre d’actions censées renforcer la coopération entre les deux organisations. Elles sont articulées autour de quatre pôles :
-Tout d’abord, la consolidation des liens institutionnels, avec par exemple les nominations d’un ambassadeur de l’UE auprès du CCG ainsi que d’un représentant spécial en charge de la sécurité régionale ;
-Ensuite, deuxième pôle, la transition énergétique, à propos de laquelle un dialogue politique multilatéral à l’échelle ministérielle et à l’échelle d’experts devrait être engagé ;
-Troisième pôle, le renforcement du rôle politique régional de l’UE, devant mener à des nouveaux mécanismes de coopération, notamment dans le domaine de la sécurité maritime ;
-Et enfin, quatrième pôle, la création de liens plus étroits entre les citoyens des deux organisations via l’établissement d’une coopération dans le domaine de l’éducation à travers le programme ERASMUS+, ainsi que l’octroi d’un accès sans visa au territoire européen pour les citoyens du Golfe.
A la suite de ce partenariat stratégique, quelles peuvent être les perspectives pour le futur de la relation entre l’Union européenne et le Conseil de Coopération du Golfe ?
Il est encore trop tôt pour évaluer le réel impact du partenariat stratégique. La principale inconnue demeure de savoir à quel point les intentions exprimées vont être traduites dans la réalité. Il est en effet plus que probable que la relation multilatérale entre l’UE et le CCG continue d’être confrontée aux mêmes défis que ceux qui avaient sapé les premiers accords de coopération, à savoir la méconnaissance – voire la méfiance– réciproques que ces organisations se portent, ainsi que les questions des Droits humains et de l’État de droit qui continuent de poser problème dans les monarchies du Golfe. Dans ce contexte, la portée concrète du partenariat stratégique sur le futur de la relation entre les deux organisations dépendra surtout de leurs volontés politiques respectives de s’engager sur la voie de la coopération.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.