Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion David Sassoli (2022-2023), des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.
Nina Guibère est une assistante académique du département d’études politiques et gouvernance européennes du Collège d’Europe à Bruges, dont elle est elle-même diplômée (promotion David Sassoli, 2022-2023). Elle est également diplômée en droit international, parcours administration internationale (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) ainsi que d’un master bilingue en droit international et européen (Université Paris Nanterre).
l y a deux ans exactement, à l'occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, la Commission Européenne a présenté une directive visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Pourquoi un tel texte est-il crucial à l'échelle européenne ?
Dans l'Union Européenne, une femme sur trois a été victime de violences physiques et/ou sexuelles. Ces chiffres, ainsi que ceux concernant les violences psychologiques à l'égard des femmes, ont augmenté depuis la pandémie de COVID-19. Par exemple, le nombre d'appels aux lignes d'assistance en cas de violence domestique a été multiplié par cinq dans certains pays.
Les "cyber-violences", notamment à l'encontre des jeunes femmes, des journalistes et des femmes politiques, sont également en augmentation constante. Ces violences de genre se manifestent dans le cadre domestique, sur les lieux de travail, et désormais en ligne. Malgré cela, il n'existe toujours pas de législation spécifique de l'UE dédiée à la question des violences faites aux femmes, bien que certaines directives et règlements de l'UE abordent ce sujet, notamment dans les domaines de la coopération judiciaire en matière pénale et de la politique d'asile. La proposition de directive faite par la Commission en 2022 entend combler ce vide en garantissant un niveau minimal de protection dans l'ensemble de l'UE contre ces violences.
Quels sont les éléments clés de la directive proposée par la Commission ?
La directive criminalise la violence physique, ainsi que la violence psychologique, économique et sexuelle à l'égard des femmes dans toute l'Union européenne, à la fois hors ligne et en ligne. Ainsi, elle vise à ériger en infractions pénales divers actes, tels que les mutilations génitales féminines et la cyberviolence, comme le partage non consenti d'images intimes. Cette directive entend garantir aux victimes l'accès à la justice, le droit à réparation, et l'accès gratuit aux lignes d'assistance téléphonique et aux centres de crise contre le viol. Elle harmonisera les sanctions et les délais de prescription à l'échelle de l'UE pour des infractions telles que les mutilations génitales féminines, passibles d'une peine maximale d'au moins 5 ans d'emprisonnement dans tous les États membres. Référencée explicitement à la convention d'Istanbul, elle vise à intégrer en droit européen les normes de cette convention, avec un accent particulier sur la cyberviolence.
Où en est actuellement la proposition de directive ? Y a-t-il des points de discorde particuliers faisant obstacle à son adoption ?
Le Conseil de l’Union Européenne et le Parlement européen sont parvenus à un accord politique sur la première directive de l'UE contre les violences faites aux femmes le 6 février dernier. Bien que novateur, l'accord n'a pas abouti à une définition commune du viol basée sur l’absence de consentement.
La proposition entendait au départ harmoniser la définition du viol, pour baser sa caractérisation sur l’absence de consentement plutôt que sur la violence, la contrainte, la menace ou la surprise qui sont les éléments qui définissent le viol en droit français par exemple.
Les négociations de la directive proposée ont été marquées par un clivage entre les États favorables, dont l'Espagne et la Belgique, et les opposants, tels que la France et l'Allemagne. Le manque de majorité qualifiée au Conseil a donc empêché une définition commune, ce qui a été déploré par plusieurs Etats membres et de nombreuses parties intéressées, notamment Amnesty International, ILGA Europe, Human Rights Watch ou encore le Center for Reproductive Rights. Malgré ce que certains voient comme un échec, la Directive est novatrice en matière de prévention, les législateurs étant parvenus à un accord sur des mesures visant à prévenir le viol, mais également des règles plus strictes en matière de cyberviolence et un meilleur soutien aux victimes.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.