Salomé Delboulbé suit le programme de droit européen du Collège d'Europe à Bruges. Elle est diplômée en droit franco-italien à l’Université de Florence et l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Elle a également étudié auprès de la Fordham University School of Law, à New York. Elle est membre active de la Student Association for Gender Equality du Collège d’Europe. Elle se spécialise en droit de la concurrence européenne.
Pourquoi le congé maternité est-il un enjeu crucial en Europe ?
En mars 2023, le cabinet de conseil PWC publiait une enquête appelée « Les femmes au travail » conduite sur les pays de l’OCDE. Les résultats de l’enquête les amènent à constater que le principal facteur expliquant une différence de salaire entre hommes et femmes (qui reste de 14 %) est une « pénalité de maternité » subie par les femmes. Le cabinet définit cette pénalité comme une perte de rémunération au cours de la vie des femmes du fait qu’elles élèvent des enfants. Elle est notamment causée par une progression de carrière plus lente lorsque les femmes retournent au travail, mais également par une prise en charge insuffisante des enfants par les pères.
Quelle est réellement l’influence de la naissance des enfants sur le travail de leurs parents ?
D’après l’INSEE : « À caractéristiques équivalentes, le volume horaire hebdomadaire des mères diminue nettement après une naissance (– 3,6 heures en moyenne). » L’INSEE précise que cette baisse est souvent caractérisée par un passage à un temps partiel chez les mamans. Au total, l’ajustement par le passage à temps partiel est dix fois plus important pour les mères que pour les pères, et la différence entre la proportion de mères à temps partiel et celle des pères augmente de 24 points après la naissance d’un enfant. Finalement, « les ajustements de temps de travail à la suite d’une naissance sont ainsi essentiellement portés par la mère ».
Où en est la législation européenne sur le congé maternité/paternité et parental ?
La directive européenne sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, adoptée en 2019 et applicable depuis le 2 août 2022, a permis à l’UE de poser un socle minimum de droits au congé maternité/paternité et d’intégrer ces droits au socle européen des droits sociaux. Cette directive impose des normes minimales pour différents types de congés :
- Le congé paternité de minimum 10 jours ouvrables, rémunéré au moins au niveau du congé maladie national
- Le congé parental (qui est pris après un congé maternité/paternité et peut être pris par chaque parent) : minimum 4 mois, au moins 2 mois non-transférables d’un parent à l’autre. Les deux mois doivent être rémunérés de « façon adéquate, selon un niveau fixé par chaque État ».
Le congé maternité était quant à lui fixé à un minimum de 14 semaines par l’UE depuis 1992.
En outre, la directive prévoit d’autres droits tels que la possibilité de demander des formules souples de travail comme la réduction du temps de travail ou encore de la flexibilité sur le lieu de travail pour les parents ayant des enfants.
Si la législation harmonise également la rémunération des congés maternité/paternité, il n’a pas été possible de faire de même sur le congé parental...
Bien que le congé parental soit consacré dans tous les États membres, le droit européen n’en garantit pas sa rémunération. La Commission européenne avait pourtant proposé une rémunération à titre de congé maladie, position refusée par l’Allemagne et la France. De ce fait, les femmes, généralement moins bien payées que les hommes, sont encouragées à prendre ce congé à la place des pères, afin que la perte de revenu pour le foyer soit la moins conséquente possible.
Toutefois, le texte a permis d’harmoniser des systèmes nationaux qui ne l’étaient absolument pas. Par exemple, des pays comme la Croatie, la Slovaquie ou encore l’Allemagne ne prévoyaient pas de congés paternité. Si le seuil européen permet une avancée prononcée à ce niveau-là, il reste assez timide pour le congé maternité, étant donné que la plupart des EM prévoyaient déjà des congés maternité allant à au moins 14 semaines. Déjà en 2000, l’OIT recommandait une augmentation du temps de congé maternité de 14 à 18 semaines.
Finalement, les EM vont plus loin que la législation européenne ?
Selon l’OIT, les pays garantissant les régimes de congés de maternité les plus généreux sont : la République Tchèque avec 28 semaines ; la Hongrie avec 24 semaines ou encore l'Espagne et la Roumanie avec 16 semaines. Par ailleurs, l’Espagne est devenue, depuis le 1er janvier 2021, le premier pays au monde à accorder un congé parental entre pères et mères de 16 semaines non-transférables et entièrement rémunéré afin de renforcer le partage des responsabilités parentales. Aujourd’hui, les économistes constatent le grand succès de cette réforme : les pères espagnols ont pris massivement leur congé parental, et ce indépendamment de leur situation économique ou de leur classe sociale. Teresa Jurado, sociologue et membre de la Plateforme pour un congé de naissance et d’adoption égal et non transférable (PPiiNA), décrit l’ « effet radical » de cette réforme et déclare : « Depuis le débat sur l’allongement du congé en 2007 et son égalisation, l’idée que les hommes doivent s’occuper de leurs enfants s’est progressivement imposée dans la société. Les pères participent davantage à la garde des enfants, assistent à des cours de préparation à l’accouchement et prennent part aux événements scolaires de leurs enfants. »
Alors je vous laisse avec une question : l’Union européenne ne devrait-elle pas s’inspirer de l’Espagne pour assurer pleinement l’égalité hommes/femmes, garantie à l’article 23 de sa charte sur les Droits Fondamentaux, et pour pallier la « pénalité de maternité » ?
Entretien réalisé par Laurence Aubron.