Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion David Sassoli (2022-2023), des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.
Robin Antoine est étudiant en science politiques et gouvernance européenne.
La question de la participation financière des États membres au budget de l’Union européenne revient régulièrement au centre des débats, et notamment pour ces élections européennes. Pourquoi notre contribution fait-elle tant réagir ?
La France a un statut particulier parmi les États membres : nous sommes un contributeur net au budget de l’UE, c’est-à-dire que nous donnons plus au budget communautaire que ce que nous en recevons. En tout, 11 États sont dans cette même situation, dont l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Suède et bien d’autres. Jusqu’en 2020, on pouvait aussi compter le Royaume-Uni parmi ces États. Or jusqu’à présent les négociations budgétaires et notamment de moyen terme ont toutes été dominées par la logique du juste retour qui correspond à une vision utilitariste du budget européen, où l’ensemble des États s’attendent à recevoir des dépenses communautaires une somme équivalente à celle qu’il verse au budget l’UE. Certains États contributeurs nets ne voient donc pas d’un très bon œil cette participation au budget de l’UE, surtout lorsque le volume du budget augmente.
Pourquoi cette logique du « juste retour » est-elle problématique pour la construction européenne ?
D’abord parce que ce raisonnement repose sur des indicateurs purement comptables, à savoir les soldes opérationnels budgétaires qui soustrait aux dépenses européennes perçues par l’État membre sa contribution. Or le calcul de ces soldes est controversé, notamment pour sa méthodologie : par exemple qui est l’État bénéficiaire des fonds Erasmus ? Est-ce le pays vers lequel les étudiants partent étudier, ou bien leur pays d’origine ? De plus, ces soldes omettent de nombreux bénéfices de l’intégration économique tels que l’augmentation de la productivité ou l’accès à un large marché sans frontières.
La logique résultant de ces soldes a abouti à la création de mécanisme de correction, également appelé rabais, pour les États contributeurs nets pour limiter leur participation au budget de l’UE. Mais ces instruments sont extrêmement complexes et opaques et surtout contreviennent à la dimension solidaire du projet européen.
Quel est l’état des lieux aujourd’hui sur les rabais ?
La négociation des perspectives budgétaires de moyen terme de 2020 a résulté sur une confirmation de la logique du juste retour, avec une augmentation conséquente des montants des rabais, et surtout un élargissement de ces instruments. Les principaux bénéficiaires des rabais restent l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et l’Autriche, mais par exemple le montant de la correction suédoise a augmenté de 478% pour la période 2021-2027 par rapport à 2014-2020. Ceci résulte essentiellement de l’influence du plan de relance NextGenerationEU puisque pour obtenir l’accord de ces États sur un endettement commun, il a fallu augmenter considérablement le montant de leur rabais. Plus étonnant, d’autres États dont le PIB par habitant est inférieur à la moyenne de l’Union et qui sont pour la plupart bénéficiaires nets du budget européen disposent également d’une réduction sur leur contribution sur les nouvelles ressources propres qui ont été proposées et mises en place. Cela élargit la logique des rabais à 17 autres États membres.
Que peut faire l’Union européenne pour faire face à cette multiplication de correction ?
Beaucoup avance l’idée de mettre en place de nouvelles ressources propres. En effet, environ 70% du budget de l’UE est financé par des contributions nationales. En créant de nouvelles sources de financement autonomes vis-à-vis des contributions étatiques, les États membres seraient moins tentés d’utiliser la logique de juste retour, puisqu’ils donneraient moins. C’est par exemple la proposition que défend la France.
Cette proposition est-elle viable et surtout fonctionnerait-elle ?
Toute la question est là. En 2020, la nouvelle ressource propre sur les déchets plastiques non recyclés s’est accompagnée de réduction forfaitaire pour certains États membres. Le nouveau financement envisagé par l’extension du système d’échange de quotas carbone de l’UE intègrerait un mécanisme de solidarité qui serait une forme de rabais. En outre, tant que les États auront la capacité de localiser la base fiscale de la ressource propre, la logique du juste retour perdurera. Finalement, il n’y a pas de solution magique.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.