L'Europe vue de Bruges

Les droits et santé sexuels et reproductifs en Europe : entre reculs et progrès

Les droits et santé sexuels et reproductifs en Europe : entre reculs et progrès

Emma Dulas suit le programme d’études juridiques européennes du Collège d’Europe à Bruges. Elle est diplômée d’un Master de Droit et Contentieux de l’Union européenne de l’Université Paris 2 Panthéon Assas. Elle a travaillé à la Représentation permanente de l’Assemblée nationale auprès du Parlement européen sur la présidence française de l’Union. Elle est membre active de la Student Association for Gender Equality du Collège d’Europe.  

Pourquoi est-il important de parler de l’enjeu des droits sexuels et reproductifs aujourd’hui en Europe ?

À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des millions de personnes ont fui la guerre en cherchant refuge dans les pays membres de l’Union européenne. En février 2023, l’ONU a estimé que 4,6 millions d’Ukrainiens ont obtenu une protection temporaire au sein de l’Union. Toutefois, au sein de certains États membres, une série de restrictions juridiques et politiques entravent gravement l’accès aux soins de santé sexuelle et reproductive urgents pour les femmes et filles ukrainiennes, comme l’a rappelé la Fédération Internationale pour les Droits Humains, appelant à l’action des dirigeants politiques pour garantir ces droits.

Qu’est-ce que les droits et santé sexuels et reproductifs ?

Les droits et santé sexuels et reproductifs (DSSR) concernent des aspects fondamentaux de la vie des personnes portant sur leur corps, leur santé, leur choix de parentalité et leur identité de genre. Ils constituent une condition essentielle de l’égalité entre les femmes et les hommes puisqu’ils renvoient la possibilité pour toute personne de vivre librement de manière consentie, sans violences ni discrimination sa sexualité ainsi que de maîtriser, pour les femmes, leur fécondité. Véronique Sehier, coprésidente du planning familial en France, souligne que ce sont également des droits éminemment politiques puisqu’il revient à chaque État de les définir ainsi que d’éventuellement les limiter. 

Quels sont les États membres promoteurs de ces droits et dans quels autres États membres leur exercice est rendu plus difficile ?

Aujourd’hui, si l’on prend l’exemple du droit à l’avortement, 24 États membres sur 27 ont légalisé ou bien dépénalisé son accès, sans besoin de justification de recours à l’IVG. La moitié des pays ont fixé à 12 semaines d’aménorrhée le délai maximal pour avorter, pouvant aller jusqu’à 24 semaines aux Pays-Bas sous certaines conditions. Ces dernières années, il y a eu des avancées considérables dans certains États comme la Chypre qui a autorisé l’IVG jusqu'à 12 semaines de grossesse en 2018 sans besoin de justification ou encore l’Irlande qui a légalisé l’avortement depuis le 1er janvier 2019.

Toutefois, ce droit est encore fortement limité ou interdit dans certains pays européens. En effet, Malte est le dernier État membre dans lequel le recours à l’IVG est totalement interdit, les femmes ou médecin l’ayant pratiqué risquant jusqu'à trois ans de prison ferme. En Pologne, le gouvernement a tenté en 2016 de l’interdire complètement et, depuis janvier 2021, il n’est autorisé qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère. 

De manière générale, ces dernières décennies, ces droits ont été fragilisés voire remis en cause par la montée d’un climat conservateur et l’émergence de mouvements anti-choix au sein de l’Union. La déstabilisation de ces droits concerne aussi bien l’éducation à la sexualité ou encore l’accès la contraception. Quant au droit à l’IVG il reste encore un droit fragile dont l’exercice peut être limité par des clauses de conscience alors que seules la Suède, la Finlande et la Lituanie n’autorise pas les soignants à refuser de pratiquer l’avortement. A contrario, le taux de praticiens objecteurs de conscience représente 71 % des médecins en Italie en 2016. 

Quelle est la place de l’Union européenne sur ce sujet ?

La place de l’Europe est non négligeable sur ce sujet puisque l’Union peut permettre d’influencer les États et les encourager à légiférer sur ces droits, qui sont des conditions essentielles de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Il revient à l’Union de s’assurer que le statut de droits humains fondamentaux soit pleinement garanti pour les droits sexuels et reproductifs à la plus haute échelle. L’action de l’Union devrait également se fixer pour objectif d’harmoniser par le haut les droits des femmes. C’est notamment le principe du projet de « Clause de l’européenne la plus favorisée » initié par l’association « Choisir la cause des femmes » sur une idée de Gisèle Halimi en 2005. Ce projet consiste à prendre les meilleures lois qui existent dans l’Union européenne, dans certains pays, dans tous les domaines de la vie des femmes, et rendre cet ensemble de lois applicables à toutes les citoyennes européennes. L’association promeut quatorze lois appliquées dans certains États membres sur le choix de donner la vie, le droit de la famille ou encore la lutte contre les violences faites aux femmes.

Enfin, à la suite de la décision de la Cour suprême des États-Unis le 24 juin 2022, laissant les États américains libre d’interdire l’IVG, le Parlement européen a exprimé son souhait, le 7 juillet 2022, d’inscrire le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Les eurodéputés souhaiteraient que l’article 7 de la Charte soit modifié et qu’il soit inscrit que “toute personne a droit à un avortement sûr et légal”.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.