Une chronique présentée par Catherine Saracco, Fondatrice du cabinet de conseil Education au 21ème siècle.
Nous parlons aujourd’hui d’éducation, et en particulier des défis de l’orientation au 21ème siècle. Depuis quand l'orientation des jeunes est-elle devenue un enjeu majeur du système éducatif français ?
Si on revient un peu en arrière, ce qu’on peut dire déjà, c’est que l’orientation des jeunes a longtemps été considérée comme le parent pauvre des politiques publiques.
Je dirai que depuis les années 80, l'orientation a souvent été perçue comme une "non-question" pour beaucoup. Elle n'était pas vraiment intégrée dans les priorités éducatives, les moyens humains et financiers consacrés à ce domaine étaient insuffisants. L'accompagnement des élèves restait limité, se résumant souvent à une formalité sans véritable stratégie.
Je pense que la logique disciplinaire (en silos) dans l’enseignement supérieur pendant une bonne génération y est aussi pour beaucoup. On a été longtemps raisonné en terme de spécialisation disciplinaire, de manière très cloisonnée avec des référentiels de métiers rigides sans adéquation avec les besoins du marché du travail.
C’est véritablement la loi ORE de 2018 (Orientation et Réussite des Étudiants) qui introduit un changement de cap. A partir de là, l'orientation prend une dimension centrale et plus complexe dans la trajectoire éducative des élèves.
Avec la réforme du bac du ministre Jean-Michel Blanquer, on a introduit le choix des spécialités dès la première pour répondre enfin à une exigence de pluridisciplinarité (en créant des passerelles entre les matières), et puis aussi pour faire en sorte que les élèves aient la possibilité de diversifier leur parcours, de développer des compétences transversales et d’être mieux préparés aux défis de demain.
Et cette réforme du bac s’accompagne aussi de la plateforme Parcoursup, ce qui implique que les décisions d'orientation deviennent plus précoces et surtout plus stratégiques. Les élèves, dès le lycée, sont désormais confrontés à des choix qui auront un impact direct et durable sur leur parcours dans l'enseignement supérieur ce qui est un vrai défi pour les élèves et leurs familles.
On voit bien qu’il y a eu une prise de conscience très nette qui s’est accompagnée d'une politique d'orientation volontariste. Quels sont les facteurs qui ont conduit à cette prise de conscience et quelles ont été les conséquences de ces lacunes en matière d'orientation pour les étudiants et pour la société ?
Il est clair que la prise de conscience s'est imposée progressivement.
Pendant des décennies, l'État a sous-investi dans l'orientation des jeunes avec un manque criant de conseillers d'orientation et surtout une image souvent peu valorisante de ce métier.
On a tous en tête l'image caricaturale du conseiller d'orientation, avec ses fiches métiers standardisés, qui tente de mettre l’élève dans une case et de lui coller une étiquette professionnelle sans véritable prise en compte de ses aspirations et compétences.
Ce manque d'accompagnement a conduit des générations d'étudiants à se retrouver «désorientés», à faire des choix d'études souvent inadaptés.
Oui, puis ceci n’a pas été sans conséquences ?!
Effectivement !
Je rappelle qu’on a eu un taux d'abandon en première année universitaire parfois supérieures à 30 % pendant longtemps, un échec doublement coûteux - tant sur le plan personnel que pour la société avec un sentiment de gâchis des investissements publics dans l'enseignement supérieur.
Mais depuis l'augmentation massive du nombre d'étudiants accédant à l'université, il est devenu évident qu’on ne pouvait plus laisser les jeunes s'engager dans des parcours qui ne correspondaient ni à leurs compétences ni aux attentes des employeurs.
Ceci a forcé les responsables politiques à faire des réformes systémiques, à plusieurs échelles.
On voit bien aujourd’hui que l'employabilité est devenue un enjeu majeur de l'enseignement supérieur. Les grandes écoles se sont dotées de « career center » et les universités de » cellules d’insertion professionnelle » sous l'impulsion des pouvoirs publics et des entreprises qui font tous le même constat : l'avenir de nos jeunes est déterminant pour la compétitivité de notre pays.
Maintenant qu’on a évoqué l’orientation par le prisme des politiques publiques, j’aimerais qu’on envisage l’orientation des jeunes dans le contexte des grands défis du 21ème siècle ? En quoi la question de l’orientation se pose-t-elle à nouveaux frais selon vous aujourd’hui ?
C’est une question passionnante mais complexe.
Du point de vue déjà des sciences psychologiques, je pense qu’il faut sortir d’une approche de l'orientation comme « science comportementaliste » (où le choix d’orientation est déterminé par une grille de tests et certaines aptitudes psychologiques) pour faire de l’orientation une démarche dynamique et multifactorielle où l’on va croiser plusieurs paramètres pour accompagner les jeunes dans une réflexion approfondie sur leur devenir professionnel.
Et si je parle ici de « réflexion approfondie », c’est à dessein dans le sens où l’orientation met les jeunes en face d’un questionnement identitaire profond et loin d’être évident à conduire pour les jeunes.
L’orientation est une véritable exploration de soi pour dégager sa singularité, trouver sa place et donner du sens à son travail.
De plus on sait que cette période entre 16 et 25 ans est une période de vulnérabilités, d’instabilités ou les jeunes ont tendance à privilégier le court terme et ont du mal à se projeter. Et c’est d’autant plus vrai aujourd’hui où l’avenir est vécu comme anxiogène et où la question de l’éco-anxiété (pour ne prendre que cet exemple) est au cœur de leurs inquiétudes et impacte leur santé mentale.
Cela étant dit , je pense qu’il faut dédramatiser la question de l’orientation.
Dans ma pratique, je côtoie beaucoup de jeunes et surtout de parents souvent inquiets face à l’avenir, voulant tout de suite être rassurés sur les débouchés de certains parcours, le taux d’employabilité de certains formations et leur retour sur investissement.
Ces craintes sont légitimes mais aujourd’hui le monde change. L’orientation est quelque chose que l’on va de toute façon rejouer à plusieurs reprises dans sa vie, car les parcours professionnels sont de moins en moins linéaires.
C’est pourquoi je parle volontiers « d’orientation tout au long de la vie » comme on parle d’ailleurs de » formation tout au long de la vie ». On voit bien que les deux aspects sont liés. L'orientation devient ainsi un apprentissage continu, un outil pour s'adapter aux changements constants du marché du travail.
Et ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui que l’éducation fait face à une évolution culturelle majeure. Elle devient une ressource tout au long de la vie et de moins un moins un bloc monolithique qui va grosso modo du bac au bac+5. Les jeunes apprennent et réapprendront tout au long de leur vie et par différents canaux, physiques ou numériques, après et avant avoir travaillé et même en travaillant.
Par conséquent, si on souscrit à une logique d’une vie où l’on réapprend, cela signifie aussi que l’on accepte aussi de se réorienter.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.