En France, qui dit mois de décembre, dit fête de fin d’année et consommation de foie gras. En 2021, une enquête du CSA menée pour l’Interprofession du foie gras (CIFOG) révélait que 9 Français sur 10 déclaraient en consommer. Cette consommation pose question alors même que le gavage, nécessaire pour produire du foie gras, est interdit dans la plupart des pays de l’Union européenne pour cause de cruauté envers les animaux. Pour mieux comprendre ce qui se joue autour de sa production, Mathilde Leroy reçoit Olivier Morice chargé d’affaires publiques à L214, une association de défense des animaux utilisés comme ressources alimentaires (viande, lait, œufs, poissons).
Euradio : Pour commencer, qu'est-ce que le foie gras ?
Olivier Morice : Le foie gras est un foie malade d'oie ou de canard, qui est obtenu à la suite d'un processus qu'on appelle le gavage. Il consiste techniquement à gaver les canards et les oies. C'est-à-dire à leur faire ingurgiter de force une quantité délirante d'aliments qui correspond à peu près, relativement parlant, à dix kilos de nourriture pour un humain en quelques jours. Tout ceci pour que le foie grossisse de façon démesurée, entre une dizaine de jours et quatorze jours, jusqu'à atteindre dix fois sa taille. L’animal est alors atteint d'une maladie qu'on appelle la stéatose hépatique. Les animaux sont ensuite envoyés à l'abattoir pour que leur foie soit prélevé.
Euradio : Quelles sont les conséquences du gavage sur la santé des animaux ?
Olivier Morice : Ce sont des conséquences évidemment extrêmement délétères. Cette stéatose hépatique induite par le gavage fait que le foie grossit tellement vite que les animaux ont des difficultés respiratoires. Ils ont des difficultés à se mouvoir. Ils sont victimes de diarrhées. La mortalité constatée pendant la phase de gavage est sept à vingt fois supérieures à la phase antérieure, phase pendant laquelle les animaux sont en élevage, mais ne subissent pas d'alimentation forcée. Donc c'est extrêmement douloureux et extrêmement délétère pour eux. Malheureusement, beaucoup ne survivent pas à cette étape.
Euradio : On peut parfois entendre que le gavage est un procédé naturel ? Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi ce n’est pas le cas ?
Olivier Morice : J’aimerais qu'on m'explique en quoi il est naturel de gaver un animal en lui enfonçant jusqu'à l'œsophage un tuyau métallique pour lui faire ingurgiter de cinq cents à cinq cents grammes à un kilo de pâtée de maïs, deux fois ou trois fois par jour, selon que ce soit un canard ou une noix. J'ai l'impression qu'on est très, très loin de la notion de naturel. Ce qu'on ce qu'on entend de la part du lobby du foie gras, c'est que ce processus est basé sur une appétence des animaux avant la phase de migration. Mais les canards utilisés pour le foie gras sont des canards hybrides qui ne sont absolument pas des oiseaux migrateurs. Ils ont été sélectionnés pour leur capacité à produire cette stéatose hépatique le plus rapidement possible. Si jamais on devait lâcher ces animaux dans la nature pour qu'ils puissent s'envoler, ils n'iraient pas loin. Ils peuvent à peine marcher, tellement leur foie est devenu énorme. Il est complètement mensonger de la part de l'industrie de propager ce genre d'informations.
Euradio : En février 2022, le Parlement européen a déclaré que la production de foies gras respectait les critères de bien-être animal, alors qu’il demandait auparavant l’interdiction du gavage, le qualifiant de « cruel et inutile ». Quel est l’état de la législation dans l’Union européenne ? Dans quels pays d’Europe, la production ou la vente du foie gras est interdite ? Pourquoi ?
Olivier Morice : On a assisté à ce revirement total de position la du Parlement européen par rapport à une position qui avait été prise l'année dernière lors de la résolution sur la fin des cages. Cette résolution avait été votée à une immense majorité. Les députés avaient effectivement constaté que le gavage était quelque chose de cruel. Aujourd'hui, la législation est relativement claire. La directive européenne 98/58/CE de 1998 sur la protection des animaux dans les élevages est celle-ci : “aucun animal n’est alimenté ou abreuvé de telle sorte qu’il en résulte des souffrances ou des dommages inutiles”. C'est sur cette base-là que la production de foies gras à travers le gavage est interdite dans toute l'Europe. Il n'y a que quatre pays qui dérogent ainsi qu’une province belge. Il s’agit de la France, mais aussi de la Hongrie, la Bulgarie et l'Espagne, qui sont des petits pays producteurs de foie gras. La France concentre l'immense majorité de la production du foie gras en se basant sur une disposition de l'article 13 du traité de fonctionnement de l'Union européenne qui explique qu'il faut respecter à la fois le bien-être animal, mais aussi les coutumes locales et les rites, les religions, etc.
Euradio : Dans quel pays la vente de foie gras est interdite ?
Olivier Morice : Il est interdit de produire, mais il n’est pas interdit de vendre. On interdit une pratique localement, par contre on autorise la vente juste à cause du marché unique. Je ne sais pas exactement comment les consommateurs réagissent localement devant cette hypocrisie. Je trouve que c'est que c'est complètement choquant. Dès lors qu'une pratique est interdite, il devrait être interdit aussi de ne pouvoir acheter des produits issus de cette cruauté.
Ecoutez la suite de cette interview réalisée par Mathilde Leroy.