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La compensation des émissions de CO₂ est un piège selon Sarah Fayolle de Greenpeace

Lou Surrans La compensation des émissions de CO₂ est un piège selon Sarah Fayolle de Greenpeace
Lou Surrans

La Commission européenne a validé, avec quelques ajustements, la mesure française de suppression des vols intérieurs lorsqu'un trajet en train de moins de 2 heures 30 est possible. Pour en discuter, on retrouve Sarah Fayolle, chargée de campagne Transports à Greenpeace

Euradio : Qu’est-ce que vous pensez de cette mesure française ? 

Sarah Fayolle : On porte cette demande depuis longtemps. En revanche, cette mesure va bien moins loin que ce qu'on souhaitait et ce qu'avaient proposé les citoyens de la convention citoyenne pour le climat. Ce sont eux qui sont à l’origine de cette demande et ils avaient proposé l’interdiction des vols courts quand il y a une alternative en train en moins de 4 heures. Nous, à Greenpeace, on demande l’interdiction des vols intérieurs lorsqu’une alternative est possible à moins de 6 heures. Ce qu’il faut savoir c'est que dans le cadre de la loi climat, dans laquelle cette mesure a été intégrée, le gouvernement a prévu toute une série de dérogations lorsqu’il y a des correspondances. Au final, la mesure telle qu’elle est imaginée par le gouvernement français, ne concerne que trois lignes aériennes sur la centaine de connexions aériennes intérieures existantes en France. Le bénéfice climat est proche de zéro. C’est pour ça qu’on est déçus. 

E. : Cette interdiction s’ajoute à l’obligation pour les compagnies aériennes de compenser progressivement leurs émissions de gaz à effet de serre, jusqu’à 100 % en 2024. Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ? 

S.F. : La compensation, c’est un piège pour nous. L’exemple le plus connu de compensation dans le secteur aéronautique :  c’est la reforestation. Le problème de cette logique, c’est qu’elle fait croire qu’on va pouvoir résoudre la crise climatique en continuant d'émettre tout en compensant avec des bonnes actions. Ce qu’on doit faire, c’est réduire les émissions et non les compenser. 

E. : Est-ce que Greenpeace à les moyens d’exprimer sa position ?

S.F. : On va continuer de porter cette demande et d’autres. On va continuer le travail de plaidoyer politique, le travail de mobilisation citoyenne et des changements de mentalités sur cette question. Ce qu’il faut aussi avoir en tête c'est qu’au niveau européen, en ce moment, il y a une révision d’une réglementation européenne sur les services aériens qui est aussi une occasion de porter ce débat sur l'interdiction des vols courts.

E. : Combien représente le secteur aéronautique en termes d’émissions de gaz à effet de serre ?

S.F. : On nous dit souvent : “le secteur aérien ne représente que quelques pourcentages des émissions globales de gaz à effet de serre en France, en Europe, à l’international…”. La part du secteur aérien dans les émissions globales de gaz à effet peut donner l’impression que ce n'est pas énorme (3 ou 4 %), mais il y a plusieurs choses à prendre en compte. Le trafic aérien augmente de façon exponentielle. On estime que d’ici 2050, les émissions de gaz pourraient doubler, tripler voire, dans certains cas, quadrupler. Cette dynamique de croissance n'est pas tenable. Il faut aussi se rappeler que ces émissions de gaz ne sont émises que par une petite partie de la population. 1 % de la population mondiale est responsable de 50 % de gaz à effet de serre, lié au transport aérien. Il y a donc une forte inégalité sociale puisque très peu de gens sont responsables de beaucoup d'émissions qui vont peser sur les plus vulnérables et les plus fragiles. 

E. : Une alternative possible, c’est le train qui émet moins de gaz à effet de serre…

S.F. : Par exemple, un trajet Paris Marseille, si on prend l’ensemble de l’impact climatique, sera 100 fois plus émetteur en avion qu’en train. Souvent le prix du train est plus élevé que celui de l’avion. C’est une situation qui n’est pas normale, parce que le mode de transport le moins polluant devrait être le plus accessible et le plus polluant devrait être taxé à la hauteur de ce qu’il coûte pour notre environnement. Aujourd’hui, le secteur aérien n’est pas taxé à hauteur de ce qui devrait l’être : il n’y a pas de taxe sur le kérosène. En parallèle de ça, il faut développer des solutions pour rendre les trains plus accessibles à tous.

E. : Qu’est-ce que vous préconisez ?

S.F. : Souvent, les décideurs économiques et politiques nous expliquent qu’on va pouvoir développer “un avion vert” et voler proprement. On ne nie pas que les évolutions technologiques soient possibles, on explique juste que c’est une perspective encore lointaine. Même si on arrive à trouver “un avion vert”, ces solutions technologiques ne pourront pas absorber le volume et la croissance du trafic aérien qu’on connaît jusqu’à maintenant. Il faut donc évoluer sur le côté technique mais aussi sur la régulation du trafic. Il faut trouver des solutions pour remettre le trafic aérien sur une trajectoire qui soit compatible avec le budget carbone dont on dispose, si on veut tenir l'objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré. Il y a plusieurs mesures qui peuvent s'imposer. La première mesure de bon sens : arrêter l’avion lorsqu’il y a une alternative, typiquement sur les vols courts. La deuxième : interdire les projets d'extension d’aéroports. Et puis, il y a plein d’autres propositions qui sont sur la table et défendues par d’autres associations comme des taxes progressives sur les billets d’avion.

Entretien réalisé par Lou Surrans