À l’occasion d’un séminaire sur la liberté de la presse organisé à Paris, début décembre, Maria Arena, eurodéputée belge (Parti socialiste) et présidente de la sous-commission des Droits de l’Homme au Parlement européen, a répondu aux questions d’Euradio.
Euradio : Quel constat dressez-vous sur la liberté de la presse en Europe et dans le monde ?
Maria Arena : On voit au niveau européen qu’il y a une réduction de l'espace de la liberté des médias en Europe. On voit, par exemple, qu’il y a eu des assassinats de journalistes sur le territoire européen. Il est donc important qu’on puisse regarder ce qu’il se passe et comment nous pouvons corriger cela. Au niveau de la sous-commission des Droits de l’Homme, nous travaillons sur la liberté des médias à l’extérieur de l’Union européenne avec les pays avec lesquels nous avons des relations privilégiées. Là aussi, on voit dans tous les indicateurs que les journalistes sont particulièrement ciblés en tant que défenseurs des droits de l’homme mais aussi quand ils dénoncent des phénomènes de violation des droits de l’homme dans leur pays ou des violations des droits à l'environnement. On voit qu’il y a de plus en plus de journalistes qui sont menacés voire sanctionnés par des lois, par exemple des lois antiterroristes, dans des pays qui sont plus autoritaires.
Euradio : Reporters sans frontières a publié il y a plusieurs mois et comme chaque année, son classement mondial sur la liberté de la presse. Pourquoi y a-t-il tant de différence entre les pays européens ?
M.A. : En Europe il y a des dérives dans certains pays qui sont justifiées par un mouvement idéologique, comme en Hongrie. On le voit aussi dans d’autres pays où la question du covid en particulier a été une manière de censurer. Les médias qui dénoncent la corruption, peuvent être également menacés par des réseaux criminels qui existent en Europe.
E : Comment améliorer la situation ?
M.A. : Il est important que toutes ces valeurs de liberté et d'expression soient remises au top de l’agenda européen. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé l’activation de l’article 7 en Hongrie. L’idée est d’analyser tous les mécanismes en Hongrie qui font qu’il y a une dérive de la démocratie vers un régime plus autoritaire. Il y a donc des mécanismes européens de contrôle des pays. Malheureusement aujourd’hui on doit les activer.
E : En septembre la Commission européenne a dévoilé une loi sur la liberté des médias (Media Freedom Act). Où est-ce qu’on en est et qu’est-ce que vous en pensez ?
M.A. : Aujourd’hui il y a effectivement une proposition de la Commission européenne que nous trouvons, au niveau du Parlement européen, trop faible par rapport à la protection des journalistes et des sources. On avait eu exactement le même débat quand nous avons discuté du secret d’affaires, c’est-à-dire, de comment protéger les lanceurs d’alertes. Là, on avait vu que les entreprises se sont mobilisées pour protéger le secret des affaires. Comme je le dis souvent, le Parlement a le rôle de redresser une position donnée par la Commission qui peut être le plus petit dénominateur commun. Au niveau du Parlement, il y a un travail à faire avec la société civile, avec les journalistes, avec les médias pour remonter les exigences, en sachant qu’après qu’il faudra retourner au Conseil, auprès des 27 Etats membres, pour défendre une position plus ambitieuse.
E : Qu’est-ce que vous préconisez ?
M.A. : Je pense qu’il faut qu’avec ces fédérations européennes de journalistes, nous puissions identifier quels sont les mots de la proposition qui sont trop faibles pour la protection et la garantie de la liberté des médias. Et ainsi, venir compléter avec des amendements pour que ça soit plus ambitieux. Notre objectif est vraiment d’avoir une meilleure protection qui prend en compte la question des réseaux sociaux, qui est vraiment une nouvelle manière de faire du média.
E : Est-ce que cela vous inquiète justement tout le débat autour de Twitter et d’Elon Musk ?
M.A. : Il y a deux écoles par rapport à la question des plateformes. La première est très libérale. Elle a tendance à dire que ce sont les plateformes qui doivent s’autoréguler et décider ce qui est acceptable ou non. Nous pensons qu’il n’appartient pas aux plateformes de décider ce qui est acceptable ou pas. Il doit bien évidemment y avoir des mécanismes de médiation sur les plateformes. Il doit y avoir beaucoup de garde-fous liés aux discours haineux sur ces plateformes. Mais, il doit aussi y avoir des mécanismes d’Etat de régulation comme ça existe pour les médias classiques.
E : Qu’est-ce que vous espérez pour la liberté de la presse, dans les prochaines années, en Europe et dans le monde ?
M.A. : On doit bien évidemment travailler sur des standards ambitieux sur la liberté de la presse en Europe. Si on le fait, on aura la capacité de promouvoir ces standards à l’extérieur de l’Europe. Il n’y a pas de démocratie sans liberté réelle de la presse.
Entretien réalisé par Lou Surrans
Crédit photo : Parlement européen