Dans son discours de l'état de l'Union, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a insisté beaucoup plus sur un avenir à construire en commun. Un discours plus large, plus politique et fédérateur.
Ce mercredi, la présidente de la Commission européenne faisait son discours sur l’état de l’Union. C’est un grand rendez-vous qui consiste à passer en revue l’année précédente et à donner ses priorités pour l’année qui vient. C’est la première fois qu’Ursula von der Leyen se livre à cet exercice devant le parlement européen.
C’était un véritable test pour la présidente de la Commission, surtout après ces derniers mois mouvementés. Le média Politico, spécialisé dans le décryptage de la politique européenne, a fait une comparaison de son discours avec celui de l’ancien président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Elle a insisté beaucoup plus sur un avenir à construire en commun que son prédécesseur, qui lui avait davantage parlé de développement économique. Les temps ont changé. Dans le contexte actuel, le discours s’est voulu plus large, plus politique et fédérateur.
Un discours d’ailleurs presque exclusivement récité en anglais. Ce qui a soulevé quelques critiques par rapport au pluralisme linguistique de l’Union, surtout depuis la sortie du Royaume-Uni.
Au niveau du contenu, a-t-elle fait des propositions particulières ?
Elle a évidemment rappelé les grands dossiers, la nécessité de conclure les négociations du Brexit et l’importance de la transition écologique. Grande nouveauté, Ursula von der Leyen a demandé la création d’une Europe de la santé, qui n’est pour l’instant pas une compétence européenne. Cela constitue une avancée majeure saluée par de nombreux parlementaires, avec notamment la création d’une agence de recherche pour véritablement faire avancer le biomédical européen. Elle a aussi émis l’idée d’une taxe digitale, c’est-à-dire, taxer les grands groupes du numériques comme Facebook, par exemple, qui traitent nos données.
Elle a réagi aux images chocs de l’incendie du camp de la Moria, qui accueille des réfugiés sur l’île de Lesbos. A-t-elle émis des mesures concrètes à ce niveau ?
Devant l’émoi que cet incendie survenu le 9 septembre a causé, il était difficile pour Ursula von der Leyen d’éviter le sujet. Elle appelé à revoir le système d’asile européen, appelé Dublin III, qui veut que la demande d’asile d’un réfugié soit analysé par le 1er pays qui l’accueille. Cela met donc une pression forte sur les pays en première ligne comme la Grèce, Malte ou l’Italie.
A rebours de ce discours qui se veut fédérateur, la République tchèque se dirige-t-elle vers le protectionnisme ? Le parlement tchèque doit analyser un texte de loi sur l’alimentation. Le texte prévoit d’imposer des quotas de produits nationaux dans les supermarchés, 55% en 2021, et 85% en 2027. Pourquoi cette réforme inquiète-elle l’Union européenne ?
Et bien, l’imposition de ce type de quota enfreindrait les règles du marché unique européen. Les règles européennes mettent en place une liberté de circulation pour les capitaux, les biens, les personnes, et pour finir, les produits. Cela vise à garantir que toute entreprise européenne puisse vendre ses produits partout en Europe, sans restriction. Plus récemment, certains pays comme la Bulgarie et la Slovaquie ont adopté ce type des quotas, des mesures plus protectionnistes qui visent à favoriser les produits nationaux. L’Union ne voudrait pas que cela devienne la norme
Le premier ministre Tchèque, Andrei Babis, a pris ses distances par rapport à ce projet de loi mené par un parti d’opposition. Malgré le fait qu’il est lui-même un ancien magnat de l’agroalimentaire.
En effet, c’est ce qui prête le flanc à la critique. Avant de devenir premier ministre, il fut le patron d’un grand groupe, appelé Agrofert. Aujourd’hui, il est tellement difficile de ne pas acheter ses produits, que des Tchèques ont développé une application qui permet de scanner un produit et de voir s’il est lié ou non au premier ministre. Même s’il s’oppose publiquement à la loi, son ancienne société bénéficierait énormément de ces quotas. Le premier ministre Babis clame ne plus avoir d’intérêts au sein de son ancienne société, affirmation mise par en doute par certaines organisations de société civile.
Imaginons que cette loi passe, elle violerait les régulations européennes. Que pourrait-faire la Commission ?
La procédure est assez codifiée. Il y a d’abord une mise en demeure de se conformer aux règles. Si cela n’est pas suivi, la Commission peut aller devant la Cour de Justice de l’Union européenne et celle-ci infligera éventuellement des sanctions financières. En ce moment, la Bulgarie fait l’objet d’une procédure similaire pour des quotas également.
Ces mesures Tchèques font écho en quelque sorte à d’autres mesures protectionnistes souhaitées par la France pour assurer la souveraineté alimentaire de l’Europe.
Le gouvernement français a effectivement exprimé son souhait de développer les cultures de protéines végétales pour accroître l’indépendance européenne. Les protéines végétales constituent un élément indispensable à l’élevage porcin et bovin. A ce jour, l’Europe importe massivement ces protéines des Etats-Unis et d’Amérique du Sud.
Et la pandémie a souligné la forte dépendance de l’Europe envers les importations étrangères en général.
C’est exactement de là que vient la motivation française de faire en sorte que l’Europe satisfasse elle-même à ses besoins, notamment en matière agroalimentaire. En ce qui concerne les protéines végétales, la France a lancé le débat au niveau européen par l’entremise de son ministre de l’agriculture, Julien Denormandie. Le gouvernement français compte investir 100 millions d’euros dans la filière dans le cadre de son plan de relance.
Cela s’inscrit-il dans un véritable changement de cap en Europe ?
Pas tout à fait, comme vous l’avez mentionné, les Etats sont plus sensibles à leur dépendance vis-à-vis des importations, mais le libre-échange reste le mantra des pays européens en matière commercial. Phil Hogan, commissaire européen au commerce jusqu’en août, a malgré tout lancé une réflexion cet été sur le sujet et il reste à suivre l’évolution de ce débat.
Victor D’Anethan – Thomas Kox