Les commentaires sur le discours d'Ursula von der Leyen sur l'état de l'Union - Quentin Dickinson & Arnauld Leclerc

 Les commentaires sur le discours d'Ursula von der Leyen sur l'état de l'Union - Quentin Dickinson & Arnauld Leclerc

L'édito de Quentin Dickinson



Qu’est-ce qui vous a frappé en particulier ?

On aura noté une approche particulièrement vigoureuse vis-à-vis de la Chine : une enquête approfondie est annoncée, afin de déterminer le niveau de subventions du gouvernement chinois dans l’exportation de véhicules électriques qui inondent depuis deux ans le marché européen, au grave détriment des constructeurs de l’UE. Il ne s’agit pas pour autant de rompre les ponts commerciaux avec PÉKIN, mais d’identifier, d’encadrer et de limiter les risques qu’ils engendrent.

Il s’en est suivi un plaidoyer qui en aura surpris plus d’un : on a découvert une Ursula à la limite de la poésie dans son évocation de la nature, si riche et si diversifiée en Europe, une situation unique au monde qu’il convient de défendre bec et ongle – et qui est parfaitement compatible avec le Plan vert de l’UE, destiné à la fois à limiter les pollutions et à développer un tissu industriel fondé sur les multiples ouvertures dans les activités à vocation respectueuse de l’environnement et durables.

Mme von der LEYEN a voulu également présenter une forme de bilan, c’est cela ?

Le bilan à ce jour de son mandat, qui prendra fin l’année prochaine, est, dit-elle, franchement positif :

la prompte réaction de l’UE à la pandémie de COVID et les mesures d’assouplissement provisoires de l’encadrement du droit du travail auront permis de sauver quatorze millions d’emplois. L’UE se trouve actuellement proche du plein-emploi, qui n’est pas qu’un élément positif : le peu de mobilité professionnelle et géographique entraîne un manque de personnel qualifié dans de multiples secteurs, tels l’agriculture, l’hôtellerie-restauration, ou la santé. Parallèlement, elle relève que deux-tiers des entreprises en Europe cherchent désespérément des informaticiens.

Voilà qui l’amène à évoquer la question des migrations. Celle-ci doit correspondre aux besoins réels de l’économie européenne en main-d’œuvre qualifiée, compte évidemment non-tenu des obligations internationales en matière d’accueil de réfugiés. Les dispositions utiles ne pourront se prendre qu’au niveau européen – le chacun-pour-soi serait catastrophique.

Elle regrette que la législation européenne en matière de lutte contre le trafic d’êtres humains soit vieille (et quasi-inchangée) depuis plus de vingt ans – une conférence internationale sur ce sujet sera prochainement annoncée.

Le social a également figuré en bonne place ?

Les questions liées à la responsabilité sociale des États-membres et de l’UE en tant que telle devrait, annonce-t-elle, faire l’objet d’une grande conférence autour des partenaires sociaux, qui se tiendrait à BRUXELLES, au Château de Val-Duchesse, là où son lointain prédécesseur Jacques DELORS avait lancé le mouvement, à l’époque en dehors du strict périmètre des compétences des Communautés européennes.

Une attention remarquée aura été portée aux petites et moyennes entreprises, dont Mme von der LEYEN regrette qu’elles ne tirent pas davantage profit du grand marché intérieur de l’UE. Elle annonce à ce propos la création d’un poste de délégué aux PME qui lui sera directement rattaché, et qui aura la tâche – monumentale – d’alléger les obstacles bureaucratiques auxquels sont confrontées les entreprises de dimension limitée.

Dans le prolongement de cette idée, Mme von der LEYEN déplore le volume élevé et évitable d’importations en provenance de pays tiers, de même que la surdépendance à l’égard de nombre de ceux-ci. En riposte à ces phénomènes, elle prône le développement d’un club des matières premières critiques ; d’autre part, le vieux routier des institutions européennes Mario DRAGHI fait son retour à BRUXELLES, chargé d’un rapport sur l’état de la compétitivité de l’UE.

Le secteur de l’informatique prospective a également fait l’objet des attentions de la Présidente de la Commission européenne ?

Un passage remarqué du discours évoque de façon détaillée les espoirs, les chances, et les périls de l’intelligence artificielle, qui de développe plus rapidement que ses développeurs. Une approche législative commune est nécessaire, et, d’ailleurs, l’UE est la première puissance régulatrice dans ce domaine, a-t-elle rappelé.

Ursula von der LEYEN intervient dans l’éternel débat entre l’élargissement et l’approfondissement de l’Union européenne : à laquelle de ces deux objectifs convient-il d’accorder la priorité ? Pour Mme von der LEYEN, l’un ne va pas sans l’autre, et elle appelle à l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans la zone Schengen de libre-circulation (voilà pour l’approfondissement) et, en même temps, elle milite pour l’adhésion de l’Ukraine, une fois toutes les conditions remplies, mais aussi des pays des Balkans occidentaux et de la Moldavie.

La solidarité avec l’Ukraine sera renforcée quoi qu’il en coûte (cinquante milliards d’Euros sur quatre ans sont proposés), ici, comme en Afrique et ailleurs, l’Union européenne, conclut-elle doit impérativement défendre ses principes humanistes et ses valeurs démocratiques, afin de répondre à l’appel de l’Histoire.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.

______________________________________________________________________________________________________________________________

Le commentaire d'Arnauld Leclerc


On reçoit maintenant Arnauld Leclerc, professeur de sciences politiques à l’université de Nantes. Le discours sur l'état de l'Union, prononcé il y a quelques minutes par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. C'est un événement significatif dans le calendrier politique de l'Union européenne. Pourquoi cet exercice ? 

 C'est devenu un exercice très significatif. En fait, c'est pratiquement le moment où on parle le plus de politique européenne depuis le traité de Lisbonne, puisque c'est né en 2010. Mais il faut rappeler qu'il y a énormément de pays qui pratiquent cet exercice là et aux États-Unis ça a démarré par George Washington dès 1790. Mais vraiment, année après année, on voit que ce discours devient le moment politique où on parle de l'Union d'une manière plus forte. Et on voit aussi se dessiner ce qui est le propre de ce genre d'exercice, à la fois le bilan et les perspectives. 

Et ça marque quand même le lancement de la rentrée politique européenne ? 

 Oui, d'abord parce que, clairement, c'est l'entrée du Parlement en nouvelle session et puis c’est aussi, dans les circonstances politiques où nous sommes, un peu le lancement de la campagne puisque les élections ont lieu en juin. 

Alors le discours permet à la Présidente de la commission de dresser un bilan des réalisations et des défis rencontrés par l'Union européenne au cours de son mandat. Quelle analyse faites-vous de ce discours ? 

 On savait au démarrage que le bilan de ce premier mandat est très sérieux, très lourd. On peut dire qu'elle a déjà de loin dépassé tous les présidents qui l'ont précédé, hormis peut être Jacques Delors. On a tout égrainé. La Commission a publié deux jours avant une espèce d'énorme bilan de 120 pages qui donne tout ce qui est, tout ce qui a été fait, qui est assez considérable. Mais il y a au moins trois choses clés qui doivent être remarquées. 

Premièrement, c'est évidemment le Pacte vert qui avait été l'ambition directrice. Il y a quand même déjà eu 37 législations qui ont été adoptées dans ce domaine là. On a énormément avancé sur la question de la faim, sur le travail de transition climatique. Vraiment, il y a eu un cap et un changement complètement d'orientation qui a été impulsé par Ursula von der Leyen et y compris quand il faut affronter sa propre majorité, comme ça a été le cas pour le règlement sur la restauration de la nature vers les environnements qui sont dégradés et qu'il va falloir restaurer. Ça, c'était assez fort. N'oublions pas qu'elle a affronté deux crises majeures la crise du Covid, avec deux réponses fortes, inattendues, la capacité à acheter des vaccins tous ensemble, ce qui fait qu'on a tous fait des gains à la fois financiers, mais aussi de solidarité, parce que les petits États ont pu accéder alors que l'Union n'avait aucune compétence en matière de santé et de l'autre côté, la constitution d'un énorme plan de relance à la sortie de la crise, qui fait que le budget européen quasiment doublé, ce qui est quand même quelque chose qui était inespéré il y a quatre ou cinq ans. 

Donc ça, ça veut dire qu'elle a l'aptitude à amener les 27 à se mettre d'accord et c'est le rôle principal. Et puis la deuxième crise, c'est évidemment l'Ukraine. Là aussi, elle a quand même réussi à ce que les 27 soient d'accord. Alors que rappelons que sur le terrain idéologique, Orban est plutôt proche de Poutine, que sur le plan historique l'Allemagne a des liens très forts, construits et qu'il a fallu défaire tout ça pour construire une position commune. Elle y est parvenue, ce n'est pas rien et ça implique la gestion de la question énergétique. Et l'Union a été un acteur clé puisque maintenant on achète toute notre énergie ensemble. Et ça fait que les prix ont énormément chuté en un an, après une envolée terrible en 2022 et 2023. 

 Alors, lors du discours de Ursula von der Leyen, elle expose également les priorités de la Commission européenne pour l'année à venir et au-delà. D'ailleurs, elle a commencé son discours par une phrase très forte à adresser aux femmes : “Non, c'est non” pour lutter contre les violences faites aux femmes. Peut-on revenir quand même sur les priorités qui ont été abordées ce matin? 

 Alors elles sont très nombreuses, donc on ne va pas pouvoir toutes les lister. On en a évoqué quelques-unes juste auparavant. On peut peut être commencer par ça long. C'est-à-dire elle veut qu'il y ait un principe fondamental de consentement universel très fort, qui soit acté et qui puisse entrer éventuellement dans les traités. 

Ça fait partie des options importantes. Elle a ouvert toute une série de chantiers qui sont plutôt des sentiers de dialogue. Alors il y a un dialogue stratégique sur l'agriculture qui va être lancé. On sait qu'il y avait eu des problèmes de révision de la PAC et des difficultés avec des agriculteurs donc elle construit une réponse politique à cet endroit là, qui est nouvelle. 

Elle veut lancer ou relancer un processus de dialogue social, donc c'est ce dont on a parlé quand, il y a quelques minutes. Elle s'inspire de Jacques Delors, de ce qui avait été fait en 1985 pour essayer de construire un dialogue avec les partenaires sociaux. On sait que c'est un manque très fort de l'Union, qui est assez faible de ce côté là. Elle continue de travailler à la décarbonation de l'économie européenne et notamment avec le chantier sur l'industrie “Net Zéro”. Il y a un chantier important sur la volonté que les PME soient entendues avec un délégué, avec une simplification qui est importante. Il y a un très gros chantie sur l'intelligence artificielle qui a déjà commencé mais pour lesquels elle veut maintenant réformer la gouvernance de ce système à l'échelle mondiale, sur le modèle du GIEC. Elle veut qu'il y ait un groupe de ce type là qui puisse quelque part porter les risques, expliciter les risques et que l'Union puisse être un peu un acteur mondial. 

 De légiférer donc ? 

 Elle veut légiférer, mais construire aussi un “global player”, comme on dit, un acteur mondial qui puisse influencer sur ce terrain là. Elle a évoqué la question de l'élargissement et aussi de l'approfondissement : elle est favorable à une révision des traités, mais on a compris que ça, c'était à une échéance plus lointaine. En revanche, elle est favorable à un élargissement assez vite, elle mentionne plusieurs fois l'idée que l'Europe doit être 30. 

Et donc il y a clairement en tête ici, il y a l'Ukraine et vraisemblablement un ou deux États des Balkans. C'est un sujet chaud, ça est difficile parce qu'il y a là, il n'y a pas d'accord, mais ce qui est surprenant, c'est qu'elle découpe, c'est-à-dire qu'elle souhaite que l'élargissement se fasse avant la révision des traités. Et ça, c'est une indication sans doute à la fois sur comment on va procéder dans les quelques mois qui viennent, mais aussi une indication sur, peut-être, quelque chose d'autre puisqu'on s'interroge beaucoup à Bruxelles sur la question est ce que Ursula von der Leyen sera candidat ou non à un deuxième mandat? Et en tout cas, elle a dressé quelques pistes qui semblent indiquer qu'elle se projette au delà de juin 2024. 

 Au cours de ce discours sur l'état de l'Union, on a assisté aussi à un débat au sein de ce Parlement européen au cours duquel les présidents des différents groupes politiques ont l'occasion de poser des questions à la présidente de la Commission et de discuter des points soulevés dans son discours. La plupart de ces groupes ont quand même félicité sa mandature. Ensuite, les réponses de madame Van der Leyen étaient un peu ternes. On va peut être reprendre les priorités de ces groupes, est ce que c'est un moment de débat démocratique ?

Oui, c'est un moment d'exercice démocratique, effectivement, dans des circonstances particulières car pour une fois, les groupes sont confrontés à une présidente qui arrive avec des résultats lourds derrière elle. C'est à dire que ce qu'elle a opéré en trois ou quatre ans, c'est quand même très inédit. Elle ne l'a pas fait toute seule. Il a fallu notamment des chefs d'État qui l'appuient, mais elle a vraiment opéré un virage très important. Chaque groupe à sa marotte : le Parti populaire européen l'a pilonnée sur l'idée de compétitivité. C'était l'élément clé et on a vu quelques éléments électoraux déjà apparaître. Le groupe des socialistes et des démocrates a beaucoup insisté sur la nécessité d'une réindustrialisation, de l'autonomie stratégique et aussi du travail sur la transition climatique. Les Verts ont salué le travail qui avait été accompli, mais en même temps ont mis une alerte très forte autour de la question migratoire en considérant que les solutions proposées étaient insuffisantes. Le groupe Renaissance est lui très favorable à Ursula von der Leyen. Mais il y a eu une alerte à la fin sur la gestion de l'État de droit, notamment en Hongrie et en Pologne, en demandant d'être un peu plus musclé sur ce terrain. Globalement, c'est sûr, les grands acteurs saluent le fait que, à travers Ursula von der Leyen, on a une commission qui s'est révélée puissante, qui a fait vraiment de la politique qui a produit une orientation nouvelle et importante, qui peut être pas perçue par tous les citoyens. Mais franchement, le cadre a changé, le cadre a bougé. Et de ce point de vue là, ils sont reconnaissants. Maintenant, ce discours, il a la particularité d'ouvrir une séquence qui est celle de la campagne électorale. Elle s'est bien gardée de dire quoi que ce soit pour elle même parce qu'elle ne le peut pas.

C'est dans un contexte électoral, mais cela lance quand même la campagne.

Exactement, ça annonce la campagne. On a senti les sensibilités dans les réponses des groupes au positionnement des uns et des autres. Il faut répondre sur le caractère terne des réponses d’Ursula von der Leyen. Je dirais que c'est un peu normal parce qu'en réalité, on ne demande pas à un président, une présidente de la Commission d'être un leader politique à l'égal d'un chef d'État, avec un impact en termes de communication, en étant quelqu'un comme un tribun, et cetera. Son boulot principal, c'est de réussir à mettre les 27 d'accord. Donc c'est un travail comme on dit de « go between », c'est fluidifier les relations et parvenir à un compromis. C'est ça le travail le plus difficile. Et ensuite, il faut réitérer l'exercice au sein du Parlement. Donc, c'est quelque chose de compliqué. Il faut mettre toutes les institutions d'accord, les 27 États. C'est ce boulot là qui est le boulot principal, beaucoup plus qu’exister par la communication à l'échelle internationale ou à l'échelle de l'Union.

Est ce que c'est un discours que l’on va retenir ?

Dans l’instant peut-être. C'est un peu la suite qui va nous le dire : Si elle ne se représentait pas, ce serait son dernier et donc peut être on le retiendrait comme étant une sorte de bilan d'un mandat important. Si elle se représente, pas nécessairement, parce qu'elle a de grandes chances de pouvoir être à nouveau désignée et de pouvoir continuer. Dans ce cas là, on ferait une appréciation de l'ensemble des deux mandats. Et puis, n'oublions pas sa capacité à pouvoir continuer les impulsions qu'elle a données. Est ce qu'elles vont persévérer ? Ça dépend d'éléments politiques. Il y a deux types d'éléments politiques. Il y a les élections dans les États. N'oublions pas qu'on va avoir des élections importantes en Espagne, aux Pays-Bas, et cetera, et ça peut changer la donne s'il y a des gouvernements, par exemple, ultra conservateurs qui arrivent. Et puis évidemment, de l'élection du Parlement européen entre le 6 et le 9 juin. En fonction de ces résultats là, elle sera légitimée ou non à poursuivre. Ces deux éléments là conditionnent quand même la suite, et la lecture qu'on aura de ce discours là dépendra de ça.

Entretien réalisé par Laurence Aubron.

Intervenants :

  • Quentin Dickinson, chroniqueur pour euradio
  • Arnauld Leclerc, Professeur de Science Politique à l'université de Nantes

Retrouvez ici le discours complet d'Ursula von der Leyen lors du Discours dur l'état de l'Union (SOTEU 2023) ⬇️