À l'occasion du 150ème anniversaire de la IIIème République nous avons interviewé Chloé Gaboriaux, maîtresse de conférences à Sciences Po Lyon, politiste, spécialiste de la question républicaine et des langages du politique.
La date du 4 Septembre représente un jour important pour les français et les françaises, en particulier cet année, où la IIIe République célèbre son 150ème anniversaire. Vaincue par les Prussiens, la France a vu la fin du deuxième empire, et depuis l'hôtel de ville de Paris, Léon Gambetta et d’autres députés ont proclamé la République.
Je voudrais partir de ça : transmettre aux citoyens l’idée de République est fondamentale pour maintenir une forme de cohésion sociale. Comment l’idée de République a évolué depuis 1870 ? Que montre l'analyse du langage ?
D’abord, on ne peut pas vraiment dire que le 4 septembre c’est la naissance de la République, il y en a eu d’autres avant. Ensuite, les évolutions sont nombreuses, mais elles partent aussi de conceptions plurielles de la République : c’est à dire que très tôt , dès la fin du XVIIIe siècle, ceux qu’on appelle “Les Républicains” défendent des positions bien différentes de la République. Donc, suivre une évolution c’est difficile, parce qu’il n’y a pas un seul élément de départ. On a, plutôt, des rapports de force entre différentes conceptions.
Le débat aujourd’hui présente une version de la République assez conservatrice, avec une accent très fort mis sur l'adhésion des citoyens à un certain nombre de valeurs.
En théorie politique, on dira que c’est une forme de Républicanisme plutôt “substantielle”, ou “positive”, qui consiste à définir comment bien se comporter comme citoyen et puis de l’imposer aux citoyens et d’exiger d’eux qu’ils y adhèrent. Cette version d’aujourd’hui tranche avec des versions de la République qui existaient au XIXe siècle, quand la République c’était, avant tout, la participation du peuple à des décisions. Donc, pour beaucoup de Républicains du XIXème siècle il y avait une sorte de confusion entre ce mot République et Démocratie.
De la même façon, pour d’autres courants, la République ne peut être que la République sociale, qui égalise les conditions, pour permettre un vrai exercice de la liberté. Toutes ces conceptions qui existaient au XIXe siècle, dans le débat d’aujourd’hui sont un peu misent à côté, on va dire.
Liée à l’idée de République, il y a aussi les langages du politique, qui ont énormément changé pendant ces deux siècles. De nos jours malheureusement, on peut voir toujours plus clairement que les partis sont enclins à se laisser guider par le sentiment commun au lieu de guider la société. Quelles sont, donc, les différences et les points en commun entre le passé et le présent?
Quand on fait une étude sur le vocabulaire politique de la fin du XIXe siècle, on a un vocabulaire assez clivé, et donc très facile à décrypter : pour le dire de manière plus schématique, il y a des mots de droite et des mots de gauche. On sait en entendant un certain nombre de mots, si le locuteur est plutôt à droite ou plutôt à gauche. Par exemple, dans les années 1880, quand on entend “Patrie” ou “Classe” il est probable qu’on soit dans une version de gauche ; quand on entend “Nation” il est probable que nous sommes dans une version de droite. Donc, dans le passé il y avait une forme de clarté du positionnement politique des locuteurs à travers leurs discours.
Aujourd’hui, de la même façon qu’on a des partis “Attrape-tout”, on a des discours “Attrape-tout”, qui doivent plaire à tout le monde. La conséquence c’est plutôt la confusion, le désintérêt ou même l’indignation de ceux qui écoutent, quand ils ont l'impression d'une malhonnêteté intellectuelle derrière le discours. Ou ils ont une sorte de méfiance à l’égard du discours qui parait déconnecté des projets réellement poursuivis par les acteurs politiques.
Souvent les jeunes ont l’impression que le langage politique ne les représente pas. Quels sont donc les changements que la politique doit entreprendre, selon vous, pour avoir un langage plus proche des jeunes français et européens?
C’est aux jeunes de réinventer les langages politiques et de prendre leur place dans cette société. On leur en fait peu pour des raisons de démographie électorale, mais c’est vraiment aux jeunes de répondre à cette question.
Pour avoir aussi une perspective européenne, l'évolution de l’idée de République et le langage associé à cette idée a-t-elle été similaire à celle de la France dans les autres pays européens ?
Le discours sur la République aujourd’hui en France est vraiment destiné aux citoyens français. Donc, c’est un discours qui ne tient pas compte de l’Europe. Il y a une actualité de la théorie républicaine en Europe, liée à une forme de républicanisme qui n’est pas substantielle ou positive, mais qui est plutôt critique, qui consiste à réfléchir aux conditions de la liberté des citoyens. Pour le républicanisme critique, il faut une réflexion sur comment on égalise les conditions dans lesquelles les citoyens vont pouvoir être libres. Cette question est extrêmement pertinente au niveau européen, où les questions de la participation des citoyens et de la démocratisation des institutions ont été posées.
Donc, une réflexion sur comment être également libres tous, et pas simplement être plus libres les uns que les autres en fonction de nos ressources est prise en charge par cette version critique de républicanisme, qui n'est pas tellement connue et exploitée par les acteurs politiques en France.