Bruxelles ou Strasbourg ? Quel doit être le siège du Parlement européen ?
Alors que la pandémie de covid-19 n'en finit plus, cela fait presque un an que les eurodéputés n'ont plus mis les pieds à Strasbourg et se contentent de participer aux séances plénières à Bruxelles, ou en ligne.
Est-ce un déni de démocratie ou bien une solution pragmatique pour préserver le bon fonctionnement du travail institutionnel de l'Union européenne ?
Pour en parler, Théo Boucart (Jeunes Européens - Strasbourg et Le Taurillon) s'est entretenu avec Christophe GRUDLER, député européen au sein du groupe Renew Europe, membre de la Commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie, mais aussi et surtout, l'un des plus fervents défenseurs du siège strasbourgeois du Parlement européen.
Christophe Grudler, vous êtes député européen du Groupe Renew, membre de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie. Mais vous êtes surtout l’un des plus fervents défenseurs du siège strasbourgeois du Parlement européen. Depuis plusieurs mois vous vous exprimez régulièrement contre l’abandon du bâtiment Louise Weiss de Strasbourg. Cet entretien est enregistré pendant la séance plénière de ce mois de janvier du Parlement européen, qui se passe une nouvelle fois à Bruxelles. Qu’est-ce que cela vous inspire la non venue à Strasbourg des parlementaires européens depuis bientôt un an ?
Ça m'inspire beaucoup de tristesse. Voir l’hémicycle entièrement vide ici à Strasbourg, les allées désertées, c’est un spectacle sinistre. C'est aussi une grande gifle aux pères de l’Europe. Ceux qui ont imaginé une Europe plus pacifique, plus fraternelle, dont Strasbourg était le symbole.
Vous êtes l’un des eurodéputés les plus favorables au siège strasbourgeois du Parlement européen. Mais au-delà des eurodéputés français, qui défend encore l’hémicycle de Strasbourg ?
Beaucoup de monde, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Mais un peu contraint par la décision de la présidence du Parlement européen, personne n’ose trop se manifester en ce moment sous prétexte de covid. Je dis souvent que celui qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. Le covid est le prétexte utilisé par les anti-Strasbourg pour privilégier Bruxelles. Ce qui est vraiment dommage et je ne dis pas ça contre Bruxelles. Les pères fondateurs ont toujours fixé le siège unique du Parlement européen à Strasbourg depuis 1958. Ils avaient un credo très fort qui est que l’Europe doit être polycentrique. Si on met tout à Bruxelles, comme dirait Emmanuel Macron “on est foutu" !
S’il y a à la fois la présidence du Conseil européen, la Commission européenne et en plus le Parlement à Bruxelles, on n’est plus sur une Europe concentrique. On est sur une Europe égocentrique. Tout baser à Bruxelles c’est vraiment la négation de la diversité qui fait l’Union européenne : diversité des lieux, des langues. C’est comme ça que s’est construite l'Europe et c’est comme ça qu’elle doit être respectée.
Quels sont les principaux arguments en faveur du siège strasbourgeois du Parlement européen. L’argument des Traités européens est-il suffisant pour pérenniser le siège à Strasbourg ?
Non ce n’est pas suffisant et ce serait vraiment une erreur de se reposer dessus. Effectivement les traités disent que le siège du Parlement européen c’est Strasbourg. Mais si vous vous reposez là-dessus, vous allez laisser se développer une propagande contraire, qui fait qu’un jour quelqu’un va demander les traités ou concevoir un nouveau traité et cela deviendra naturel de plumer Strasbourg.
Ne pensons pas que les traités sont une protection définitive. Au contraire, c'est une protection temporaire qui doit donner le temps à l’action. C'est-à-dire que tous ceux qui croient à cette Europe polycentrique se mobilisent et ne se laissent pas faire, par ceux qui ont des intentions plus ou moins cachées d’en finir avec Strasbourg.
Vous parlez d’Europe polycentrique avec Strasbourg comme siège du Parlement européen, mais que représenterait une Europe égocentrique et un Parlement européen entièrement rapatrié à Bruxelles pour la démocratie européenne ?
Ca représenterait une démocratie hors sol, où dans une bulle bruxelloise on déciderait du destin de tous les européens. Ce serait encore une nouvelle fois la négation de l’Europe. Et je rappelle que le Parlement c’est l’Europe des peuples, ce n’est pas l’Europe des élites. Elle doit être au plus près des gens.
Des institutions européennes il y en a dans tous les pays parce que c’est la notion d’équilibre. On vient d’ouvrir une agence en Roumanie sur une thématique spécifique de l’Union européenne. Parce que c’est une façon intelligente d’amener l'Europe au plus près des gens. Évidemment ce serait plus simple si tout était à Bruxelles. Mais ce serait aussi beaucoup plus simple si on parlait tous en anglais, pourquoi parler dans sa langue natale ?
Avec ce genre de raisonnement simpliste on arrive à perdre l’Europe. Il ne faut surtout pas faire ça. Il faut se bagarrer pour cette Europe polycentrique, cette Europe de la diversité, y compris de la diversité des territoires.
Emmanuel Macron, vous l’avez évoqué, s’est posé en grand défenseur du siège du Parlement européen à Strasbourg. Mais quels ont été les résultats concrets jusqu’à présent de ses prises de position ?
Les résultats concrets, c’est que le président du Parlement européen sait qu’il a une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Aujourd’hui il n’y a pas d’effet direct en raison de la pandémie, avec un taux de contamination encore très fort à Bruxelles et à Strasbourg. Ce n’est peut-être pas le moment de prendre trop d’initiatives.
On a pris date pour le printemps, mars ou avril, pour imaginer un début de retour à Strasbourg. Mon souhait c’est que d’ici là il n’y ait que des séances plénières virtuelles, c’est-à-dire qui ne se déroulent ni à Strasbourg, ni à Bruxelles. Où les parlementaires européens peuvent voter en ligne, communiquer par visioconférence. Mais qu’il n’y ait pas, sous prétexte de covid, des sessions plénières organisées à Bruxelles.