Nous célébrons ce dimanche 10 janvier la journée mondiale de Tintin. L’écrivain spécialiste du héros d’Hergé Renaud Nattiez dirige la collection Zoom sur Hergé aux éditions Sépia-l’Harmattan. Pour Euradio, il décrypte les raisons du succès mondial et surtout européen du personnage. Il analyse également une thématique jusque-là peu étudiée : la place des femmes dans l’univers de Tintin.
ll y a 92 ans, le célèbre reporter belge à la houppette, vivait sa première aventure dans le journal “Le Petit Vingtième”. Depuis sa dernière apparition dans Tintin et les Picaros en 1976, le journaliste continue à fasciner génération après génération. En 2019, les Aventures de Tintin avaient été vendues à plus de 270 millions d'exemplaires à travers le monde et traduites dans plus de 110 langues et dialectes. Alors même qu'aucun nouvel album n'a été publié depuis quarante-cinq ans, conformément aux volontés testamentaires de Hergé.
En dehors des pays francophones, l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal se retrouvent en tête des pays tintinophiles.
Tombé dedans avant même de savoir lire, Renaud Nattiez pense que "c'est plus facile d'avoir eu la passion de Tintin tout petit. Il y a une différence entre ceux qui l'ont découvert tout petit et ceux qui le découvrent à quarante ans, où c'est plus difficile parce qu'on est moins sensible à la magie de Tintin qu'un enfant".
Pourquoi ce succès européen de Tintin qui a plus de mal à s'imposer outre-Atlantique ?
"Je crois que fondamentalement Tintin est indéterminé. Il n'a plus de famille, plus vraiment de métier au fur et à mesure que se développent les aventures. Il n'a pas de problème matériel et Hergé au fil des années s'est efforcé de gommer son appartenance belge, qui était très revendiquée dans les premiers albums. La leçon de géographie sur la mère patrie, la Belgique, délivrée aux petits enfants africains dans la première version de Tintin au Congo, s'est par la suite transformée en leçon de calcul. Pour gommer toute référence au colonialisme mais aussi parce qu'Hergé veut renforcer l'indétermination de Tintin. Ça c'est fondamental. Ça permet à beaucoup plus de gens dans le monde de s'identifier à Tintin.
Tintin est indiscutablement européen par sa couleur de peau, son langage. On se promène dans les albums de Tintin dans des rues que l'on peut visiblement reconnaitre comme européennes. Tintin lui-même se positionne comme européen face à son ami Tchang, qui est chinois. Le château de Moulinsart n'est pas situé précisément mais il est incontestablement en Europe. Tous ces éléments sont très importants pour expliquer ce succès universel.
Tintin a la mentalité de quelqu’un qui est né dans un petit pays
André Malraux
Enfin surtout succès européen, en raison de la nature du type de héros que représente Tintin. Tintin est un héros, mais pas un super héros à l'américaine. Il a des failles, des faiblesses. Il lui arrive d'être ivre, il est parfois menteur même si c'est pour la "bonne cause". Il est sujet à la fatigue, il s'endort. Là où Tintin a le moins de succès c'est Israël, la Russie et les Etats-Unis, où cinq millions d'albums ont été vendus en cinquante ans. En 2011, le film de Spielberg Le Secret de la Licorne n'a pas très bien marché aux Etats-Unis.
Malraux disait "Tintin a la mentalité de quelqu'un qui est né dans un petit pays". C'est assez vrai. Ce n'est pas un gaillard, Tintin est souvent traité de freluquet, par les gens qui ne l'aiment pas. Et je crois que c'est vraiment une spécificité de héros plus européen".
Un entretien réalisé par Elisa Rullaud de l'Académie Euradio