C’est le 27 avril 1848 que le décret définitif de l’abolition de l’esclavage a été signé en France. Ce décret mettait fin à plusieurs siècles de déportation et de mise en esclavage de populations africaines par les Français dans leurs colonies. Michel Cocotier, président de l’association nantaise Mémoire de l'Outre Mer, est avec nous aujourd’hui pour revenir sur cette date du 27 avril et comment, d’une certaine manière, elle a initié le travail de mémoire de la ville de Nantes.
Michel Cocotier : Mémoire de l'Outre Mer donc c'est une association qui a maintenant plus de 30 ans. L'objet de Mémoire de l'Outre Mer à l'origine, c'est effectivement d'évoquer le plus largement possible, le plus objectivement possible, mais aussi le plus publiquement possible la question de la relation de Nantes, premier port négrier français, 3e port négriers d'Europe à l'histoire donc de la traite négrière, de l'esclavage et des abolitions.
Il a fallu près de 150 ans à la ville de Nantes et à la France pour retrouver la mémoire sur cette histoire pourquoi et comment cette mémoire a-t-elle émergé si tardivement ?
MC : Parce que c'est une question, donc dans les années 1980-1990 que l'on essaie de glisser sous le tapis et que l'on évoque le moins possible dans la la société nantaise de l'époque. Ce qui se passe, c'est que certains pensent que c'est une injustice flagrante, notamment à l'égard, donc de la mémoire des millions d'esclaves - soit un demi-million qui ont été transportés par des bateaux nantais - que de ne pas évoquer tout à fait objectivement ce qu'a été la part de Nantes dans cette histoire et ces hommes sont à la fois originaires des Antilles mais aussi d'Afrique et parfois Nantais depuis plusieurs générations. Parce que les uns comme les autres ont envie de faire la lumière et de présenter objectivement au grand public cette page, certes sombre, mais vraiment partie prenante du patrimoine historique nantais.
Comment Mémoire de l’Outre-mer a-t-elle participé à ce travail de mémoire dans la ville de Nantes ?
MC : Les fondateurs ont mis en place, je dirais, des actions qui sont spécifiques, des actions de réflexion e puis avec quelques que points forts en particulier comme à la date anniversaire de l'abolition de l'esclavage le 27 avril 1848 tous les ans l'association organise une commémoration le samedi qui est le plus près de cette date sur le quai de la Fosse en relation avec la Loire parce que la Loire c'est le fleuve et le fleuve c'est la liaison à la mer et c'est sur cet océan que s'est finalement passé la plupart des événements majeurs en dehors bien sûr, une fois que l'océan est traversé, des marchés d'esclaves et puis après le travail sur les plantations. Donc tous les ans à la date anniversaire est organisée une manifestation à l'initiative de Mémoire de l'Outre Mer qui est un jet de fleurs dans la Loire appelé au préalable par les tambours traditionnels des Antilles : le gwoka et le bèlè, pour que la foule prenne conscience de ce temps de recueillement. Le jet de fleurs dans la Loire étant précédé d'une minute de silence et éventuellement d'une allocution.
Comment ces revendications ont-elles pris de l'ampleur ?
MC : Au fil du temps, cette manifestation, qui est un point fort du calendrier, de Mémoire de l'Outre Mer, gagne de plus en plus de sympathisants. Au départ, c'est dans le quasi total anonymat. Et puis au fil du temps, la ville de Nantes qui a changé de majorité avec l’arrivée de Jean-Marc Ayrault, il y a un nouvel élan. Et finalement ce qui se passe, c'est qu’en 1992-1994 c’est le début de l'exposition, des Anneaux de la Mémoire. Dans ces années-là la réflexion s'est approfondie, elle gagne de plus en plus de sympathisants. Là-dessus vient se greffer aussi le travail des universitaires qu’il ne faut pas oublier et donc on arrive tout doucement à faire prendre conscience à toute la population que cette histoire nous appartient à tous.
Que s'est-il passé le 27 avril 1998 ?
MC : C'est là justement que les choses, je dirais, prennent de l'ampleur. En 1998, l’année du 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage il y a un nouveau fait marquant qui est aussi porté par Mémoire de l'Outre Mer. C’est le fait de découvrir sur le quai de la Fosse, toujours dans le cadre de la commémoration annuelle qui n'est pas encore le 10 mai, ça viendra plus tard, donc de découvrir une œuvre d'une plasticienne nantaise Liza Marcault-Derouard le 27 avril 1998 en présence de Jean-Marc Ayrault qui a été invité par les associations et qui comme les autres découvre cette statue qui représente un esclave au corps décharné, les bras tendus vers le ciel et avec les les chaînes brisées ce qui indique bien l'accès à la liberté.
Mais pourquoi avoir érigé une statue à cette occasion du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage ?
MC : La volonté des associations et en particulier de Mémoire de l'Outre Mer, c'est de faire poindre l'idée que peut être Nantes manque d'un lieu qui puisse être un lieu de recueillement, qui marque cette mémoire et cette volonté de respecter et de célébrer cette mémoire. Donc la cérémonie se passe autour de cette question, sans être éludée en fait. Et ce qui se passe, c'est que quelques jours plus tard, dans la nuit qui précède le 1er mai, cette statue est profanée, c'est à dire qu'elle est renversée, et les passants la découvre le lendemain matin renversée au sol, et les chaînes qui étaient au poignets cassée sont de nouveau liées aux chevilles, ce qui montre bien que ce n'est pas un acte de pur vandalisme, c’est un acte réfléchi qui induit que certains sont fortement contre et prêt je dirais non pas à en débattre mais peut être en découdre quoi que l'acte de vandalisme dans la nuit montre qu'il y a forcément une forme de lâcheté. Donc ça fait prendre conscience à tout le monde, y compris à la municipalité, que l'idée d'un lieu doit progresser. Et d'ailleurs le conseil municipal qui suivra quelques jours plus tard dans le courant de la première quinzaine du mois de mai, prendra une délibération qui est de dire que Nantes va réfléchir et va se donner un lieu de mémoire consacré à cette page de son histoire. C'est le début du travail autour du mémorial que l'on fréquente tous aujourd'hui, on s'aperçoit quand même qu' entre 1998 et 2012 , il s'est passé 14 années. Pour que ce projet d'abord avance, soit construit et soit enfin inauguré le 25 mars 2012.
Malgré les efforts, il reste des héritages peu reluisants de cette période esclavagiste de la ville comme la violence raciale
MC : On a aussi vécu il y a 3 ans, donc lors de la commémoration du 10 mai, donc en pleine cérémonie officielle, le passage d'une trentaine de personnes plutôt masquées, cagoulées et qui proféraient un certain nombre de paroles plutôt insultantes. Comme quoi ça n'avait jamais existé, qu'on en raconte un petit peu trop sur les esclaves que ce mémorial c’est quelque chose d’indu. Là sur le quai de la Fosse, à côté du mémorial, pendant la commémoration du 10 mai. Et ces gens-là, ils ne venaient pas de l'autre bout de la France. Ce sont des gens qui habitent à Nantes et qui sont profondément persuadés qu’on en parle de trop, que la d’au moins 12 millions d'esclaves, c'est une bagatelle. Ce n'est pas acceptable et ça veut bien dire qu'aujourd'hui. nous nous devons d'être vigilants, tous autant que nous sommes, les anciens comme les plus jeunes et que nous gardions à l'esprit que c'est un combat que l'on mène tous les jours.