En 2020, le Conseil européen de la recherche a attribué une bourse à 327 chercheuses et chercheurs en Europe pour un budget total de 655 millions d’euros. Créé en 2007, il finance la recherche et l'innovation dans trois grands domaines : les sciences humaines et sociales, la physique et l'ingénierie et les sciences de la vie.
Euradio a rencontré Assia Mahboubi, chercheuse en informatique et mathématiques à l’INRIA et au laboratoire des sciences du numérique de Nantes et lauréate de la bourse “Consolidator Grant” 2020.
Pour quel projet avez-vous obtenu cette bourse ?
Il s’agit d’un projet qui s’appelle FRESCO (Fast and Reliable Symbolic Computation). L’objectif est de mieux comprendre comment être sûr d’un point de vue mathématique des calculs qui interviennent aujourd’hui dans de nombreuses démonstrations de théorèmes.
En quoi ce projet va-t-il faire avancer la recherche dans le domaine ?
On a assisté au cours des cinquante dernières années à une utilisation de plus en plus massive des possibilités de calculs informatiques pour faire des mathématiques. On utilise vraiment cette puissance de calcul pour explorer ou pour assembler des arguments mathématiques que l’on arriverait pas à obtenir à la main sur une feuille de papier ou un tableau.
Le problème c’est que les représentations des objets mathématiques dans nos ordinateurs ou notre cerveau ne sont pas forcément alignés ou adéquats. Cela peut mener à des incohérences dans les démonstrations qui risquent d’être autant de trous dans les démonstrations. On voudrait donc faire correspondre un peu mieux les différentes représentations des objets en machine et sur papier.
Ces bourses, attribuées pour une durée de 5 ans, s’élèvent de 1,5 millions à 3,5 millions d'euros par chercheur. Quelle somme allez-vous recevoir pour votre projet et comment allez-vous l'utiliser ?
Je vais recevoir un peu moins de 2 millions d’euros. C’est une somme très importante qui permet une indépendance extrêmement confortable pour ces cinq ans. Cela va nous permettre d’avoir une recherche ambitieuse et de ne pas se soucier des résultats à court terme que l’on obtient. Cela va nous permettre de faire venir des chercheurs doctorants et post-doctorants pour constituer une équipe assez importante qui va travailler ensemble au laboratoire des sciences du numérique de Nantes.
Combien de chercheurs vont venir travailler avec vous à Nantes ?
Entre 10 et 12 personnes qui ne seront pas forcément tous là en même temps sur le projet. En plus de ces personnes qui vont être embauchées pour ce projet là, on aura la possibilité grâce à ce financement de faire venir des gens qui sont basés un peu partout en Europe et même au-delà.
Le Conseil européen de la recherche attribue plusieurs catégories de bourses pour différents chercheurs, vous avez reçu vous la bourse "Consolidator Grant", à qui s’adresse-t-elle exactement ?
Elle s'adresse à des chercheurs individuels, ces bourses sont données à une personne et un projet. Il existe trois catégories de bourses avec des montants différents à chaque fois selon le nombre d'années après la thèse que l'on a.
Qu'est ce qui vous a poussé à candidater à cette bourse ?
Aujourd’hui, la façon dont la recherche publique est financée a beaucoup changé ces dix ou quinze dernières années. On est de plus en plus à passer beaucoup de temps à faire des demandes de budget pour des budgets de plus en plus faibles. En fait, notre temps de recherche diminue par rapport au temps que l’on passe à demander des bourses ou à écrire des rapports d'activités là-dessus. Parfois c'est frustrant et quand on a un projet sur le moyen ou long terme ça peut même être épuisant et empêcher d'avancer. Ici on a vraiment la chance d'avoir une liberté totale et on n’a plus besoin de faire ces demandes de financement pendant cinq ans.
En 2020, 37 % des bourses ont été accordées à des chercheuses, il s'agit de la proportion la plus élevée depuis le début du programme Consolidator que vous avez reçu. On est encore loin de la parité, comment expliquez-vous cela ?
On est loin de la parité dans les effectifs de chercheurs donc ce serait même peut être inquiétant si on arrivait à des taux trop élevés chez les lauréats. On se rapproche d'un taux de succès qui reflète le taux de représentation des femmes dans les métiers de la recherche et en particulier dans les sciences du numérique. On ne pourra pas avoir plus de succès si on a pas plus de chercheuses.
Pourquoi y a-t-il moins de femmes dans le domaine de la recherche scientifique ?
D’une part il y a une image sociale que le scientifique c’est un ingénieur et pas une ingénieure, que c’est un chercheur en mathématiques et pas une chercheuse. Au-delà des mathématiques et de l’informatique, les carrières de la recherche aujourd’hui sont très exigeantes d’un point de vue de la vie personnelle il faut être prêt à avoir beaucoup de mobilité et beaucoup de précarité dans les contrats qu’on enchaîne avant d’avoir un poste confortable. Cela impose parfois des choix difficiles sur la vie personnelle et là on rejoint d’autres thématiques comme des problèmes de répartition dans les familles aujourd’hui.