Le harcèlement scolaire touche malheureusement tous les pays européens. Certains ont développé des méthodes pour lutter contre ce phénomène comme la Finlande. Jean-Pierre Bellon, directeur du Centre Resis qui lutte contre les intimidations scolaires, détaille ces méthodes pour euradio.
Euradio : Vous avez fondé en 2007 l'association pour la prévention des phénomènes de harcèlement entre élèves (APHEE). Quelles ont été les actions de votre association depuis ses débuts ?
Jean-Pierre Bellon : Les dix premières années, notre travail a essentiellement été de faire connaître le phénomène et d'essayer de convaincre les pouvoirs publics de s'intéresser au sujet. Dans un premier temps nous avons fait beaucoup de formations dans les établissements auprès des élèves ce qui nous a permis de rencontrer beaucoup de victimes.
A partir du moment où le ministère de l'Education Nationale en janvier 2011 a reconnu le sujet et a créé un site, ce travail a changé. C'est à ce moment-là que nous nous sommes intéressés aux méthodes qui avaient fait leurs preuves à l'étranger. Nous sommes allés en Finlande, nous avons pris conscience de la littérature sur ces questions. C’est de là que j'ai importé la méthode de la préoccupation partagée que j'ai adapté au contexte français et francophone, parce que je l'ai aussi implanté en Suisse et en Belgique.
En quoi consiste cette méthode de la préoccupation partagée, inspirée du travail du psychologue suédois Anatol Pikas ?
L'idée c'est d'abord de créer dans chaque établissement, le plus grand nombre possible, une équipe ressource. Une équipe qui soit spécialement dédiée au traitement des situations avec d'un côté quelqu'un qui sera là pour entourer la victime, la soutenir, la prendre au sérieux. Très souvent les victimes n'ont pas été prises au sérieux. En parallèle, d'autres membres de l'équipe vont intervenir auprès de ceux qui ont pris part à l'intimidation en entretien individuel. L'important c'est de re-individualiser chacun. On va chercher à les amener vers une préoccupation pour celui qui souffre. Ce sont des entretiens brefs dans lesquels on va rechercher à leur faire partager une préoccupation.
La Finlande est assez pionnière dans la lutte contre le harcèlement scolaire, elle a d'ailleurs mis au point depuis 2019 le programme KiVa. Vous êtes allé en Finlande, qu'est-ce que vous en avez retenu ?
Ce que j'ai retenu de l'expérience finlandaise et que j'ai essayé de mettre en place en France c'est d'abord l'idée qu'il faut une équipe par établissement. Dans le programme KiVa Koulu, il y a une Kiva team par établissement, une équipe qui est identifiée. Dès qu'il y a un petit souci, ils savent à qui s'adresser. C'est la version visible de KiVa. Après, le programme KiVa communique assez peu sur son contenu.
Nous l’avons vu à l'œuvre parce que nous avons discuté avec les enseignants. C'est un programme clé en main comme Olweus en Norvège, c’est à dire des programmes qui sont vendus clés en main. Il y a tout un dispositif qui passe par des jeux, des séances spécifiques.
Ces programmes ne sont pas transposables en France parce qu'ils supposent des établissements complètement autonomes. Deuxièmement, la Finlande est un pays dans lequel on n’est pas obsédé par le programme. S'il faut faire un très grand nombre de séance KiVa par an, on arrête le programme. L'idée des scandinaves, c’est qu’il faut d'abord que les élèves aillent bien et une fois qu'ils vont bien, ils apprendront mieux. En France, on part de l'inverse, on dit « il y a le programme donc il faut suivre le programme ».
Est-ce qu'il y a d'autres méthodes utilisées dans des pays européens qui vous semblent intéressantes ? Par exemple celle utilisée au Royaume-Uni ?
Au Royaume-Uni, il y a une méthode de Barbara Mens et John Robinson qui s'appelle No Blame Approach. Cette méthode consiste à dire qu’il faut une équipe spécialement dédiée au traitement des situations. On va faire comme on le fait dans la méthode de la préoccupation partagée à savoir rencontrer la victime, l'entourer, la soutenir, la réconforter, la sécuriser et on va constituer avec elle sur le papier une liste d'élèves. On va lui dire de nous constituer une liste de 9, 12, 15 élèves. Dans cette liste, on lui demande de mettre un tiers des élèves qu'elle redoute le plus, les intimidateurs chevronnés, puis de rajouter un autre tiers avec des élèves qui sont rieurs, suiveurs, moins impliqués dans les brimades et le dernier tiers des élèves dans lesquels elle a le plus confiance. Il faut constituer un groupe tripartite selon ces bases.
Après, deuxième étape : deux ou trois adultes de l'établissement vont réunir ce groupe sans la présence de la cible et on va présenter les choses de la façon suivante : on va rencontrer ces élèves en groupe, en leur disant que l’on est inquiet pour tel élève, qu’il ne va pas bien et on va recueillir les suggestions. Ce qui est très intéressant et que j'observe aussi dans la méthode de la préoccupation partagée, c'est qu'on s'aperçoit que ce sont les élèves les plus impliqués dans les brimades qui ont parfois les suggestions les plus intéressantes. Il y a des revirements assez spectaculaires qui s'effectuent dans cette approche.
Pourquoi la France est-elle en retard dans la lutte contre le harcèlement scolaire ? Est-ce que le problème a été pris trop tard au sérieux selon vous ?
Cela a été pris trop tard au sérieux, ça ne fait pas l'ombre d'un doute. Il ne faut pas oublier les analyses que faisaient certains il y a quelques années en disant que les campagnes de sensibilisation organisées sur le « school bullying » dans les pays étrangers, en faisant connaitre le phénomène le faisaient exister. Donc, il y a eu une négation. S'il y a une négation, il faut s'interroger sur les raisons pour lesquelles on a nié en France alors que presque tous les pays d’Europe s’associaient à cette lutte. Pourquoi la France a-t-elle autant tardé ? C'est une question que je continue à me poser. J'ai peut-être une idée. Les anglais appellent cela « school bullying » c'est à dire qu'ils ne disent pas « bullying at school ». Ils disent c'est le harcèlement scolaire. En France il y a un peu l'idée que le harcèlement n'est pas scolaire, cela serait un harcèlement à l'école. Comme si l'école n'y était pour rien.