Le 25 mars dernier, la Commission européenne a adopté un plan d’action qui vise à stimuler la consommation d’aliments bio en Europe. Ce plan d’action s’inscrit dans une stratégie plus large mise en place par la Commission il y a un an, en mai 2020. Une stratégie appelée “De la ferme à la fourchette”.
Pour nous en dire plus, Elena Panichi - cheffe de l’unité qui s’occupe des politiques du bio à la Commission européenne au directorat général de l’agriculture et du développement rural - est l'invitée du jour.
Elena Panichi : La stratégie De la ferme à la fourchette est la stratégie de la Commission européen inscrite dans le cadre du Pacte Vert - le Green Deal - visant à développer, d'ici 2030 , des systèmes agroalimentaires durables. L'UE, tel qu’on le lit dans le document programmatique, se fixe pour objectif de réduire l'empreinte environnementale et climatique de son système alimentaire et de renforcer sa résilience, de garantir la sécurité alimentaire dans le contexte du changement climatique et de l'appauvrissement de la biodiversité, de piloter une transition mondiale vers une durabilité compétitive de la ferme à la table et d'exploiter les nouvelles opportunités. Cela veut dire en pratique de guider la transition du système agro-alimentaire européen, donc de la production agricole et de la transformation des aliments, tel qu'il est conçu aujourd'hui, vers un système agroalimentaire durable. La durabilité, dans ce cas, est conçue à 360 degrés, donc pas seulement limitée à une durabilité environnementale, mais aussi à une durabilité économique et sociale.
Comment la Commission prévoit-elle d’atteindre ces objectifs ?
EP : Dans sa stratégie, la Commission s'est fixée une série d’objectifs à atteindre dans les prochaines années. Réduire de 50 % l'utilisation et les risques des pesticides chimiques, réduire de 50 % l'utilisation de pesticides, diminuer d'au moins 50 % les pertes de nutriments sans détérioration de la fertilité des sols, diminuer le recours aux engrais d'au moins 20 %, réduire de 50 % les 20 antimicrobiens destinés aux animaux d'élevage et surtout, la Commission encourage le développement de l'agriculture biologique dans l'Union européenne afin de porter sa part à 25 % de la superficie agricole totale.
Et concrètement comment la stratégie de la ferme à la fourchette va-t-elle influencer la vie des producteurs et des consommateurs ?
EP : La stratégie présente dans son annexe toute série d'actions qui vise à atteindre les objectifs que je viens de nommer soit au niveau agricole ainsi que dans la production agroalimentaire. La stratégie est divisée en plusieurs chapitres d'actions, parmi lesquels par exemple : assurer une production alimentaire durable, donc il y aura la révision de la directive sur les pesticides, la révision de la législation existante en matière de bien-être animal.... En plus, notre objectif, c'est promouvoir une consommation alimentaire durable en facilitant l'adoption de régimes alimentaires sains et durables, comme la proposition de classification et d'étiquetage harmonisés. Donc il y aura une grande variété d'activités : révision législative, financement à niveau de la PAC par exemple. Les agriculteurs pourront bénéficier d’un soutien financier mis à disposition par les écorégimes dans le cadre de la PAC. Ce soutien servira aussi pour la promotion des produits bio et en plus il y aura un budget assez consistant alloué pour la recherche. L'Union européenne vient de présenter un plan d'action, focalisé sur les consommateurs donc il y aura une promotion de l'agriculture bio dans les cantines publiques, une lutte contre la fraude... Et de l'autre côté il y aura aussi toute une série d'actions qui viseront le développement de l'agriculture biologique au niveau de producteurs pour donner de bons instruments techniques pour permettre de combler les différences entre le secteur bio et les conventionnels.
Dans le contexte actuel d’urgence climatique, quels sont les avantages qu’offrent l’agriculture biologique ?
EP : L'agriculture biologique est reconnue pour son effet bénéfique sur la biodiversité. Il est démontré qu'elle maintient un taux de 30 % de la biodiversité plus élevé que les conventionnels. L'agriculture biologique est positive pour l'environnement :la qualité, la vitalité, la structure des sols, la qualité des eaux… Mais aussi pour les climats car les rotations, la couverture permanente des sols et les taux de matière organique plus élevés dans le sol, permettent une plus forte absorption du CO2 dans l' atmosphère avec en conséquence un effet puit.
Mais en Europe tous les Etats membres ne produisent ni ne consomment de bio de manière homogène, où en est cette disparité aujourd’hui ?
EP : Oui, en Europe, il y a encore une très grosse différence au niveau de la production et de la consommation de produits bio. Les surfaces sont en croissance bien sûr, et représentent aujourd'hui les 8,5 % de surfaces utilisées en agriculture on parle plus ou moins de presque 14 millions d' hectares au niveau européen mais si on voit que certains pays ont une surface agricole utilisée en bio qui est supérieure à 20 % de leur surface totale comme l'Autriche par exemple 25 % ou l’Estonie 22 %. Il y en a encore plusieurs qui sont assez en retard dans les développements du secteur comme Malte, la Pologne, les Pays-Bas et l'Irlande pour nommer certains pays qui ont une surface agricole bio qui ne dépasse pas les 4 % . Même au niveau de la consommation, les différences sont encore assez marquées au Danemark, 344 € par an et par personne sont dépensés pour les produits bio. Par contre, plusieurs États membres encore sont bien au-dessous de la moyenne européenne dès 84€ par personne par année et se situent à quelques euros dépensées par an et par personne pour la consommation de produits bio. La France de son côté est assez performante car elle est plus ou moins en ligne avec la moyenne européenne. Avec plus de 2 millions d'hectares de surface agricole bio, ce qui représente les 7,7 % de la superficie agricole utilisée. Donc juste un peu au-dessous de la moyenne européenne. La consommation est de 174€ par an et par personne, avec un pourcentage de consommation de produits bio autour de 6 % .
Des débats ont donc lieu à l’échelle nationale mais aussi à l’échelle européenne, l’une au l’autre de ces échelles est-elle plus pertinente ou plus efficace ?
EP : Je considère plutôt que les 2 niveaux sont absolument nécessaires et complémentaires. Le niveau européen et le niveau national doivent être développés tous les deux car l’un n'exclut pas l'autre et au contraire chaque niveau intègre et enrichit l'autre. Mais l'Union européenne doit avoir un rôle de motivateur et pousser tous les États membres européens à franchir les limites. Et poursuivre des ambitions plus importantes. Pour l'objectif de 25 % de surfaces agricoles d'ici 2030 par exemple, les États membres vont le mettre en place, chacun avec ses possibilités, ses outils et ses ambitions. La Commission, qui doit stimuler une vraie prise de conscience de son côté, a mis en place un plan d'action adopté le 25 mars dernier qui vise à stimuler la consommation d’aliments bios pour permettre l'augmentation des surfaces. Or, chaque État membre répondra avec son plan d'action déjà en cours de développement ou qui sera finalisé dans les prochains mois pour permettre de stimuler la conversion. Donc ça veut dire que chacun agit à un niveau et une échelle différents, mais chacun avec le même objectif d'augmenter la surface bio.
Selon vous, est-ce que c’est bien parti pour que l’Union européenne et les Etats membres atteignent ses objectifs climatiques ?
EP : Il s'agit bien sûr d’ objectifs ambitieux mais atteignable avec l'engagement de tous !