À Lamezia Terme, un petit village de la région de la Calabre, dans l’Italie du Sud, le plus grand procès contre la ‘Ndrangheta, la plus puissante organisation mafieuse italienne, a démarré en janvier. Le procureur général, Nicola Gratteri, a évoqué maintes fois la présence européenne de cette organisation criminelle. Notamment, la ‘Ndrangheta gère, avec d’autres organisations criminelles, le marché de la cocaïne et des activités visant à blanchir l’argent acquis de manière illégale, surtout en Allemagne, en Suisse ou en Bulgarie. Néanmoins, l’Union européenne souffrait jusqu’à récemment d’un vide juridique permettant de faire face à ce phénomène déferlant. Le premier pas en avant a été entamé en 2014, quand les institutions européennes ont adopté une directive cadre sur la confiscation des propriétés des organisations criminelles.
En Italie, le réseau Libera, qui regroupe les associations et les organisations engagées contre la mafia, a été le premier acteur à promouvoir la confiscation des biens à la mafia et leur réutilisation sociale et solidaire. Notre invitée Giulia Baruzzo travaille au bureau européen de Libera et nous explique pourquoi la saisie des propriétés et leur réutilisation sociale est le moyen le plus efficace de lutte contre la mafia.
"La possibilité de réutiliser les biens confisqués est un instrument très puissant contre la mafia. Il se situe non seulement au niveau de la répression des activités criminelles, mais aussi au niveau social. De cette façon, les citoyen.nes comprennent qu’iels ont concrètement la possibilité de se réapproprier de ces lieux. C’est aussi un moyen d’initier un changement culturel, de montrer que la mafia n’existe pas seulement en Italie. Nous avons essayé de donner un exemple à l’Europe, et aujourd’hui, grâce à la directive européenne 2014/42, 19 Etats membres ont déjà intégré dans leur législation la possibilité de réutiliser ces biens confisquées pour des fins sociaux. La réutilisation sociale des biens confisqués peut donc devenir un exemple d’une bonne pratique qu’on peut partager au niveau européen."
En effet, Libera s’est désormais dotée d’un bureau européen qui a promu, en 2019, la création du réseau CHANCE (Civil hub Against OrgaNised Crime in Europe). Quel est le but de ce projet ?
"CHANCE est un réseau européen promu par Libera et par des organisations locales et nationales européennes. Nous comptons actuellement 20 partenaires et ce réseau est né parce qu’il est important de sensibiliser nos communautés sur le phénomène mafieux. Nous avons pu présenter un agenda politique au Parlement européen où l’on a mis en avant l’importance de collaborer entre les institutions, les organisations de la société civile et le citoyen.nes dans la lutte à la mafia. Nous avons aussi proposé des défis sur lesquels il y a besoin de travailler ensemble, par exemple mettre à point une définition commune de la criminalité organisée, ce qui est à l’origine des différences dans la perception de ce phénomène en Europe."
Il s’agit en effet d’un aspect clé pour harmoniser la législation européenne autour de la lutte contre la mafia. Existent-ils d’autres instruments communs efficaces et pensez-vous que ce travail d’harmonisation est en train d’avancer ?
"Oui, c’est sûr. L’un des instruments les plus récents qui est déjà en place est le nouveau règlement 1805, qui concerne la possibilité d’appliquer les mêmes instruments de répression dans les pays européens. Ce règlement a déjà montré ses effets en Italie, où les autorités judiciaires de Salerno ont pu confisquer directement des biens criminels en Roumanie, parce que la Roumanie a appliqué le même règlement. En même temps, d’autres initiatives comme la protection des familles des victimes du crime organisé et la réutilisation sociale des biens permettent de faire comprendre que la lutte à la mafia n’est pas seulement une question de répression, mais aussi de culture."
On voit donc que l’Union européenne commence à se doter d'instruments législatifs pour lutter contre la criminalité organisée. Or, il est probable que ce défi prend de l’ampleur, car Libera et d’autres associations engagées ont mis en garde contre la montée en puissance des organisations criminelles suite à la pandémie. Par exemple, un récent rapport d’EUROPOL affirme que la crise sanitaire est susceptible de créer de nouveaux créneaux lucratifs pour la criminalité organisée, parce que les personnes les plus vulnérable économiquement se tourneront vers ce genre d’organisations qui peuvent offrir du travail illégal et de l’argent. Quels sont donc les défis que l’UE devra relever pour faire face à ce danger ?
"Avec notre réseau CHANCE nous avons déjà proposé un manifeste commun qui demande une transparence accrue et des contrôles renforcés sur l’utilisation des fonds européens de relance. La protection sociale jouera un rôle clé pour répondre aux personnes dans le besoin pendant et après la crise sanitaire et économique et pour endiguer l’infiltration de la mafia visant à créer des profits illégaux. Ce nouveau manifeste est un document politique, mais aussi une voix commune provenant de la société, pour comprendre comment lutter contre les intérêts criminels pendant cette crise."