Bonjour et bienvenue dans cet épisode de 1001 héroïnes, une chronique qui vous fait découvrir chaque semaine des héroïnes européennes de livres ou de films !
Entre le XVème et le XVIIIème siècle, environ 60 000 personnes ont été assassinées. Un certain nombre d’entre elles ont été brûlées vives, presque toutes avaient auparavant été torturées et la plupart étaient des femmes : elles représentent 80% des personnes tuées. La cause de ces meurtres : des chasses aux “sorcières”, organisées dans les territoires chrétiens d’Europe et d’Amérique du nord. Elles étaient accusées d’avoir assassiné leurs maris, d’avoir des pratiques païennes considérées comme hérétiques, de pratiquer la médecine traditionnelle ou encore d’être en relation avec le diable. Mais aujourd’hui, les historiens et historiennes montrent surtout que le fond de ces accusations venaient du fait que ces femmes… étaient des femmes. Parce que ces femmes ne correspondaient pas à la vision des femmes attendues par la chrétienté, elles ont été pourchassées et assassinées, pendant plusieurs siècles. Merci le patriarcat, donc.
Depuis quelques années, la figure de la sorcière est réhabilitée. Je pense notamment à l’essai passionnant de Mona Chollet, Sorcière : la puissance invaincue des femmes, qui montre que finalement… nous sommes toutes des sorcières. Vous laissez vos cheveux blancs non recouverts d’une teinture ? Sorcière ! Vous ne souhaitez pas avoir d’enfant ? Sorcière ! Vous n’avez pas envie de vous épiler ? Sorcière ! Vous faites le choix de ne pas vous maquiller ? Sorcière ! Vous travaillez et gagnez de l’argent qui vous permet d’être indépendante ? Sorcière, encore et toujours.
Mais revenons aux siècles passés. Entre 1563 et 1736, en Ecosse, une loi anti-sorcellerie a autorisé près de 4000 procès et les meurtres de près de 3000 sorcières. 400 ans après, ces sorcières vont être amnistiées. Mais au-delà de ces femmes écossaises, le “Scotland's Witchcraft Act” a inspiré d’autres contrées et a permis d’autres meurtres.
C’est le cas du royaume de Danemark-Norvège. En 1618, des lois anti-sorcellerie ont été promulguées dans le pays, inspirées directement du “Traité de Démonologie” écossais.
C’est justement ce que raconte le roman dont tu vas nous parler aujourd'hui.
En effet : je veux vous parler des Graciées, un roman de la britannique Kiran Millwood Hargrave paru en 2020.
Nous sommes en 1617, à Vardø, tout au nord de la Norvège. Une nuit, une tempête violente se déchaîne : presque tous les hommes du village, partis en mer chasser la baleine, meurent cette nuit-là. Les femmes ont perdu des frères, des pères, des maris. C’est le drame absolu dans le village. Progressivement, pour survivre, elles reprennent les choses en main. Certaines partent même pêcher en mer, malgré l’opposition d’autres… car c’est une activité réputée comme typiquement masculine. Et puis un jour, elles apprennent qu’un délégué va venir tout régenter. Ce délégué, il arrive en vertu d’un “Décret sur la sorcellerie”. Et pour les femmes du village, ce n’est pas une bonne nouvelle…
Les Graciées est un roman historique qui se dévore, malgré l’atrocité du récit qui se déploie indubitablement. On connaît la fin, dès le début. On sait qu’il y aura des condamnations. On sait que certaines de ces femmes ne se comportent pas comme elles devraient le faire. On sent venir cette accusation insidieuse : certaines femmes auraient déclenché la tempête, elles seraient à l’origine de la mort des hommes qu’elles ont pourtant tellement pleuré.
Bref, l’horreur…
C’est sûr, ce n’est pas un roman feel good ! Mais c’est un roman important parce qu’il met en lumière cette histoire des femmes trop souvent occultée, qui plus est dans cet endroit reculé du monde,. Nous sommes tout au nord de la Norvège, dans un territoire où la vie est difficile et où vivent aussi des populations autochtones : les Samis. Et si les Chrétiens ont progressivement envahi les villages en imposant leur religion, des pratiques païennes issues des Samis subsistent parmi les habitants et habitantes, entretenues par les femmes notamment. Et ce sont justement ces pratiques qui, sous prétexte de satanisme, vont être au cœur du récit. Ces pratiques, mais aussi simplement le fait que ces femmes, courageuses, vont bien être obligées de gérer le village pour ne pas mourir de faim.
Bref, nous voici face à des dirigeants chrétiens qui veulent imposer leur foi et leurs pratiques, avec cette figure du “délégué” fraichement arrivé dans un territoire qu’il ne connait pas, et qui se vante ostensiblement d’avoir été à l’origine de la torture et du meurtre de femmes en Ecosse. On voit très bien la méfiance s’installer entre voisines et la communauté se détricoter page après page. Les femmes se montent les unes contre les autres, se dénoncent. Et la fin est inexorable.
J’ai beaucoup aimé les personnages, très intéressants et développés, particulièrement ces héroïnes fortes, dont on craint pour les vies à chaque chapitre. Chacune a ses spécificités : Kirsten prend le village en main et porte (quelle horreur !) des pantalons, Maren a tout perdu dans la tempête et veut protéger les intérêts de sa famille, Ursa est l’épouse d’un homme cruel et cherche des échappatoires, Diinna est samie et sa vie est forcément menacée en tout premier lieu.
Pour résumer : Les Graciées est un roman puissant, facile à lire et définitivement féministe. Et pour d’autres récits de sorcellerie dans d’autres régions du monde, je vous conseille le roman Moi, Tituba sorcière… de Maryse Condé et le long-métrage La mariée du diable (dispo sur Netflix), tous deux référencés sur le site 1001heroines.fr… ainsi que 750 autres œuvres féministes !
A la semaine prochaine !